Depuis que Narendra Modi a pris la tête de l’Inde en 2014, les incidents liés à la protection de la vache, un animal sacré dans la religion hindoue, ne cessent de se multiplier. Hautement politisé, cet enjeu sensible et symbolique constitue un point de fixation pour les extrémistes hindous, qui exerce leur influence au sein du BJP, le Parti du peuple indien du Premier ministre Narendra Modi. Au mois de mars dernier, d’importantes victoires électorales régionales ont installé ce parti aux commandes de plusieurs Etats de l’Union indienne, et cette position de force a redonné de l’assurance aux « défenseurs » de la vache. Les initiatives vont bon train : renforcement de législations à l’avantage de l’animal sacré, durcissement des restrictions sur l’abattage bovin et attaques contre des membres de la minorité musulmane accusés de ne pas respecter l’animal sacré.
Le dernier incident en date s’est soldé, la semaine dernière, au Rajasthan, par la mort de Pehlu Khan, un fermier musulman de 55 ans qui a succombé à ses blessures après avoir été passé à tabac par une milice de radicaux hindous ; sur l’autoroute d’Alwar, près de 200 hindous avaient intercepté des chauffeurs de bétaillères musulmans, qui ont tenté en vain de prouver qu’ils transportaient du bétail en toute légalité. La profanation présumée des symboles, en Inde, est prompte à mettre le feu aux poudres. L’un des ministres du gouvernement BJP du Rajasthan, Gulab Chand Kataria, ministre de l’Intérieur, a commenté l’incident : « Les torts sont partagés. Quand ils (les chauffeurs musulmans) savent que le commerce des vaches est interdit au Rajasthan et qu’il existe une loi contre cela, alors pourquoi le font-ils ? » Un ministre du gouvernement fédéral, Mukhtar Abbas Naqvi, ministre des Affaires parlementaires, a quant à lui nié les faits : « Un tel incident n’a en réalité jamais eu lieu. »
Défendre la vache, animal sacré dans l’hindouisme, et promouvoir l’hindutva
Ce genre d’agressions et de meurtres n’est pas nouveau. Depuis deux ans, une dizaine de musulmans ont été lynchés par des foules dans des incidents similaires, soupçonnés d’avoir consommé du bœuf ou d’avoir fait commerce des vaches. Les milices musclées de défenseurs de la vache, qui opèrent sous différents noms et se développent, sont souvent proches des organisations radicales du Sangh Parivar, la grande famille du nationalisme hindou dont le BJP représente l’aile politique et le visage modéré. Leur objectif est clair : la défense de l’hindutva, l’idéologie des nationalistes hindous qui prône le rayonnement d’une nation indienne fondée sur la culture hindoue.
Au nom de la religion, cette insistance sur le caractère sacré de la vache détourne pourtant des réalités historiques et économiques. De grands historiens indiens ont brisé le mythe, en démontrant que les hindous consommaient du bœuf dans l’Inde ancienne, alors que les courants de l’hindutva prétendent que la pratique serait arrivée bien plus tard, avec les conquérants musulmans. Enfin, l’abattage bovin est également aujourd’hui une source importante de revenus en Inde, pays exportateur de cette viande.
Les nationalistes hindous tentent néanmoins d’intégrer la protection des vaches au quotidien d’un pays qui abrite différentes minorités religieuses. L’Etat du Rajasthan, dirigé par le BJP, a installé un « ministère de la vache ». Certains leaders ont même demandé que la vache devienne l’animal national. Et les « gaushala », les refuges pour vaches sacrées, prennent désormais l’allure de temples pour les extrémistes hindous.
En outre, quand le nouveau dirigeant de l’Uttar Pradesh, Etat de 200 millions d’habitants où se concentre l’industrie bovine, est un prêtre hindou radical réputé pour ses tirades antimusulmanes, les tensions se crispent immédiatement sur le sujet de la vache. Depuis le mois de mars, le yogi Adityanath tente ainsi de faire fermer les abattoirs qui fonctionnent sans permis. Ses directives ont donné lieu à des attaques de boucheries musulmanes qui ont été incendiées et à un regain de tensions dans ce secteur d’activité.
Regain des tensions communautaires
Ce nouveau dirigeant ne cache pas qu’il aimerait interdire complètement l’abattage bovin, une mesure également prônée par son parti du BJP qui a toujours milité pour une prohibition de l’abattage de vache. Les 21 Etats sur les 29 de l’Union indienne qui interdisent l’abattage des vaches ont donc récemment durci leurs règles et leurs sanctions en la matière. La semaine dernière, c’était au tour du Gujarat, région natale de Narendra Modi, qui en fut aussi le dirigeant avant de prendre la tête du pouvoir central à New Delhi. Désormais, une peine de prison à vie peut sanctionner l’abattage de l’animal sacré (la loi précédente prévoyait une peine de sept ans d’emprisonnement). « La vache n’est pas un animal, a déclaré le ministre de la Justice Pradipsinh Jadeja. C’est le symbole de la vie universelle. »
Derrière cette guerre de la vache, les tensions communautaires guettent. Pour un hindou radical, le sujet est prétexte à s’en prendre à un musulman. Ses brigades sont promptes à s’enflammer et à châtier à la moindre rumeur colportant la mort d’une vache. Alimentée par la complexité des règles en place, la confusion entre buffles, bœufs et vaches nourrit aisément les tensions intercommunautaires. Un Etat comme l’Uttar Pradesh, où la minorité musulmane est importante (20 % de la population), avec par ailleurs les « intouchables » qui consomment eux aussi de la viande de bœuf, est un terrain très sensible. La région de Muzaffarnagar, notamment, avait été le théâtre d’émeutes interreligieuses en 2013. Et le yogi Adityanath a confirmé que son parti tiendrait sa promesse de construire un temple à Ayodhya, un site disputé où la destruction d’une mosquée avait donné lieu, en 1992, à de sanglants affrontements entre hindous et musulmans.
Pour les minorités, l’opposition et les mouvements laïcs, la défense de la vache cache mal une intolérance croissante orchestrée par le fondamentalisme hindou. Ils y voient une hostilité à peine voilée à l’égard des minorités religieuses. Et la marque de l’assurance du BJP qui, porté par ses succès électoraux, ne cesse de se renforcer.
Vendredi dernier, la Cour suprême a réagi, demandant au gouvernement de six Etats de l’Union de répondre d’ici trois semaines aux incidents violents perpétrés par les brigades de défense de la vache. (eda/vd)
(Source: Eglises d'Asie, le 10 avril 2017)
Défendre la vache, animal sacré dans l’hindouisme, et promouvoir l’hindutva
Ce genre d’agressions et de meurtres n’est pas nouveau. Depuis deux ans, une dizaine de musulmans ont été lynchés par des foules dans des incidents similaires, soupçonnés d’avoir consommé du bœuf ou d’avoir fait commerce des vaches. Les milices musclées de défenseurs de la vache, qui opèrent sous différents noms et se développent, sont souvent proches des organisations radicales du Sangh Parivar, la grande famille du nationalisme hindou dont le BJP représente l’aile politique et le visage modéré. Leur objectif est clair : la défense de l’hindutva, l’idéologie des nationalistes hindous qui prône le rayonnement d’une nation indienne fondée sur la culture hindoue.
Au nom de la religion, cette insistance sur le caractère sacré de la vache détourne pourtant des réalités historiques et économiques. De grands historiens indiens ont brisé le mythe, en démontrant que les hindous consommaient du bœuf dans l’Inde ancienne, alors que les courants de l’hindutva prétendent que la pratique serait arrivée bien plus tard, avec les conquérants musulmans. Enfin, l’abattage bovin est également aujourd’hui une source importante de revenus en Inde, pays exportateur de cette viande.
Les nationalistes hindous tentent néanmoins d’intégrer la protection des vaches au quotidien d’un pays qui abrite différentes minorités religieuses. L’Etat du Rajasthan, dirigé par le BJP, a installé un « ministère de la vache ». Certains leaders ont même demandé que la vache devienne l’animal national. Et les « gaushala », les refuges pour vaches sacrées, prennent désormais l’allure de temples pour les extrémistes hindous.
En outre, quand le nouveau dirigeant de l’Uttar Pradesh, Etat de 200 millions d’habitants où se concentre l’industrie bovine, est un prêtre hindou radical réputé pour ses tirades antimusulmanes, les tensions se crispent immédiatement sur le sujet de la vache. Depuis le mois de mars, le yogi Adityanath tente ainsi de faire fermer les abattoirs qui fonctionnent sans permis. Ses directives ont donné lieu à des attaques de boucheries musulmanes qui ont été incendiées et à un regain de tensions dans ce secteur d’activité.
Regain des tensions communautaires
Ce nouveau dirigeant ne cache pas qu’il aimerait interdire complètement l’abattage bovin, une mesure également prônée par son parti du BJP qui a toujours milité pour une prohibition de l’abattage de vache. Les 21 Etats sur les 29 de l’Union indienne qui interdisent l’abattage des vaches ont donc récemment durci leurs règles et leurs sanctions en la matière. La semaine dernière, c’était au tour du Gujarat, région natale de Narendra Modi, qui en fut aussi le dirigeant avant de prendre la tête du pouvoir central à New Delhi. Désormais, une peine de prison à vie peut sanctionner l’abattage de l’animal sacré (la loi précédente prévoyait une peine de sept ans d’emprisonnement). « La vache n’est pas un animal, a déclaré le ministre de la Justice Pradipsinh Jadeja. C’est le symbole de la vie universelle. »
Derrière cette guerre de la vache, les tensions communautaires guettent. Pour un hindou radical, le sujet est prétexte à s’en prendre à un musulman. Ses brigades sont promptes à s’enflammer et à châtier à la moindre rumeur colportant la mort d’une vache. Alimentée par la complexité des règles en place, la confusion entre buffles, bœufs et vaches nourrit aisément les tensions intercommunautaires. Un Etat comme l’Uttar Pradesh, où la minorité musulmane est importante (20 % de la population), avec par ailleurs les « intouchables » qui consomment eux aussi de la viande de bœuf, est un terrain très sensible. La région de Muzaffarnagar, notamment, avait été le théâtre d’émeutes interreligieuses en 2013. Et le yogi Adityanath a confirmé que son parti tiendrait sa promesse de construire un temple à Ayodhya, un site disputé où la destruction d’une mosquée avait donné lieu, en 1992, à de sanglants affrontements entre hindous et musulmans.
Pour les minorités, l’opposition et les mouvements laïcs, la défense de la vache cache mal une intolérance croissante orchestrée par le fondamentalisme hindou. Ils y voient une hostilité à peine voilée à l’égard des minorités religieuses. Et la marque de l’assurance du BJP qui, porté par ses succès électoraux, ne cesse de se renforcer.
Vendredi dernier, la Cour suprême a réagi, demandant au gouvernement de six Etats de l’Union de répondre d’ici trois semaines aux incidents violents perpétrés par les brigades de défense de la vache. (eda/vd)
(Source: Eglises d'Asie, le 10 avril 2017)