Le pape François doit se rendre en Birmanie du 27 au 30 novembre prochains, où il prévoit notamment de rencontrer les bonzes du comité d’Etat de la Sangha Maha Nayaka. Il s’agit de la plus haute autorité du clergé bouddhiste de ce pays à 88% bouddhiste, créée, désignée et entièrement contrôlée par les autorités.
« Le comité de la Sangha Maha Nayaka est une institution nommée par le gouvernement et composée de moines bouddhistes de haut rang qui supervise et réglemente le clergé bouddhiste. » Cette définition, donnée en mai dernier dans les colonnes de l’organe de presse gouvernemental Global New Light of Myanmar, résume parfaitement le lien qui unit cet organe au pouvoir ainsi que la fonction de contrôle qu’il exerce sur les cinq cent mille bonzes birmans.
C’est cette institution que le Pape François prévoit de rencontrer le 29 novembre prochain avant de s’envoler au Bangladesh, seconde étape de sa visite officielle en Asie. Le comité est composé de 47 membres qui représentent les neuf sectes de bouddhisme birman. Le quart de ses membres est renouvelé tous les quatre ans. Le comité a été créé en 1980 par la junte militaire alors au pouvoir afin de renforcer son contrôle sur le clergé bouddhiste, extrêmement influent en Birmanie. De nombreux épisodes de l’histoire du pays témoignent du rôle politique des bonzes. Quand la Birmanie est devenue une colonie britannique, les moines ont été à l’avant-garde du mouvement contre l’impérialisme occidental. Après le coup d’Etat de 1962, les moines ont pris position contre le régime militaire en 1988, en 1990, ou, plus récemment, en 2007, lors de soulèvements violemment réprimés par l’armée.
Une institution créée en 1980 par la junte militaire
Ces dernières années, le comité s’est illustré par ses silences et quelques prises de position tardives face à l’essor du mouvement extrémiste bouddhiste. Ma Ba Tha, un groupe de bonzes nationalistes très anti musulmans, a eu le vent en poupe sous le précédent gouvernement, dirigé par U Thein Sein (2011-2016). U Wirathu, le chef de file de ce mouvement xénophobe, propageait alors ses thèses et discours racistes. Il n’hésitait pas à insulter et les musulmans, et les Nations-Unies, et les Etats-Unis, évoquant un complot international pro musulman et anti birman. En septembre 2013, le comité de la Sangha Maha Nayaka est intervenu mollement : il a interdit la création de nouvelles organisations liées au groupe extrémiste mais il n’a pas prohibé le mouvement lui-même. Une mesure prise non pas pour contrer l’influence anti musulmane de Ma Ba Tha mais parce que le mouvement radical commençait à asseoir son rôle politique dans un pays où les bonzes sont censés rester loin des affaires publiques. U Wirathu ne s’est pas privé de se moquer de la décision du comité. « Chaque règle et procédure de la Sangha Nayaka a été écrite avec un revolver sur la tempe », a-t-il alors ironisé.
Le mouvement extrémiste a continué à prendre de l’ampleur. En 2015, il était même parvenu à faire passer au Parlement national quatre lois pour « la protection de la race [birmane] et de la religion [bouddhiste] ». De violents affrontements ont opposé les communautés musulmane et bouddhiste aux quatre coins du pays. Le comité de la Sangha Maha Nayaka n’a pas cherché à maitriser la montée en puissance d’U Wirathu. « Ils [ses membres] savaient qui fomentait les troubles entre les communautés et ils n’ont rien fait », accusait par exemple dans le magazine Frontier un bonze respecté.
Ce n’est qu’en mai de cette année que le comité a de fait interdit Ma Ba Tha, un an et demi après la victoire aux élections législatives de la Ligue nationale pour la démocratie, parti politique qui s’était opposé à plusieurs reprises à Ma Ba Tha. Le mouvement extrémiste avait déjà perdu beaucoup de son influence.
En 2007, le comité prenait le parti de l’armée
Cette année marque en outre le dixième anniversaire du soulèvement des bonzes de Birmanie. En août et septembre 2007, des milliers de moines bouddhistes, suivis par des étudiants et des opposants pro démocratiques, avaient osé défier la junte militaire en protestant dans les rues contre la hausse des prix. A cette époque, le comité de la Sangha Maha Nayaka avait très vite rappelé à l’ordre les moines. Dans un rapport publié en décembre 2007, l’organisation Human Rights Watch indiquait que le comité « a[vait] publié la directive 93, ordonnant à tous les comités de la Sangha Nayaka aux niveaux de l’Etat, des divisions, des townships et des quartiers de superviser les moines et novices bouddhistes afin qu’ils ne pratiquent que le Pariyatti (l’étude des enseignements bouddhistes) et le Patipatti (l’engagement dans les pratiques bouddhistes, y compris la méditation), interdisant aux moines de participer aux affaires laïques – en d’autres termes, une interdiction pure et simple de participer aux protestations. » Le comité ne pouvait marquer son soutien à la junte militaire alors au pouvoir de manière plus directe à un moment où de nombreux moines osaient protester contre les autorités, en refusant ostensiblement les offrandes des membres du gouvernement. Le comité a alors clairement pris parti pour l’armée.
Deux mois plus tard, après avoir réprimé les manifestations populaires menées par des moines bouddhistes, la junte militaire louait l’attitude du comité de la Sangha Maha Nayaka : ce dernier « est basé sur l’unité des différentes sectes du clergé et il n’est pas impliqué en politique. Il ne s’occupe que d’affaires religieuses. C’est pour cela que le comité de la Sangha Maha Nayaka existe encore aujourd’hui et qu’il continuera à exister dans le futur. »
Plus récemment, la plus haute autorité bouddhiste de Birmanie a adopté une position très conservatrice sur la réforme de l’éducation, réclamée avec vigueur par plusieurs organisations étudiantes. Elle s’est par exemple opposée à la formation de syndicats étudiants.
D’ordinaire, les silences du comité de la Sangha Maha Nayaka ou ses prises de position pro gouvernementales ne suscitent guère de débat dans la presse birmane. Les critiques sont rares. Toutefois, en 2014, un groupe de bonzes, qui avait manifesté sept ans plus tôt, a osé exprimer son désaccord vis-à-vis du comité de la Sangha Maha Nayaka. Ce dernier « ne soutient pas les moines, s’insurgeait ainsi un de ces bonzes critiques dont Radio Free Asia [LIEN] s’était fait l’écho sur son site Internet. Il confisque des monastères, arrête des moines. C’est pour cela que nous demandons une réforme du comité » qui « ne fait que ce que les autorités lui disent de faire ». Et ce moine de se plaindre de l’institution qui défroquait des bonzes et fermait des monastères pour des raisons avant tout politiques. Selon lui, le comité était devenu le bras religieux du pouvoir des militaires. L’armée s’en servait pour montrer à la population sa proximité avec la religion majoritaire afin de redorer son image ternie après des décennies de dictature militaire. (eda/rf)
Légende image : Des bonzes en train de prier, le 18 septembre 2013, à l'occasion du sixième anniversaire de la révolution de safran. (RFA)
(Source: Eglises d'Asie, le 10 novembre 2017)
C’est cette institution que le Pape François prévoit de rencontrer le 29 novembre prochain avant de s’envoler au Bangladesh, seconde étape de sa visite officielle en Asie. Le comité est composé de 47 membres qui représentent les neuf sectes de bouddhisme birman. Le quart de ses membres est renouvelé tous les quatre ans. Le comité a été créé en 1980 par la junte militaire alors au pouvoir afin de renforcer son contrôle sur le clergé bouddhiste, extrêmement influent en Birmanie. De nombreux épisodes de l’histoire du pays témoignent du rôle politique des bonzes. Quand la Birmanie est devenue une colonie britannique, les moines ont été à l’avant-garde du mouvement contre l’impérialisme occidental. Après le coup d’Etat de 1962, les moines ont pris position contre le régime militaire en 1988, en 1990, ou, plus récemment, en 2007, lors de soulèvements violemment réprimés par l’armée.
Une institution créée en 1980 par la junte militaire
Ces dernières années, le comité s’est illustré par ses silences et quelques prises de position tardives face à l’essor du mouvement extrémiste bouddhiste. Ma Ba Tha, un groupe de bonzes nationalistes très anti musulmans, a eu le vent en poupe sous le précédent gouvernement, dirigé par U Thein Sein (2011-2016). U Wirathu, le chef de file de ce mouvement xénophobe, propageait alors ses thèses et discours racistes. Il n’hésitait pas à insulter et les musulmans, et les Nations-Unies, et les Etats-Unis, évoquant un complot international pro musulman et anti birman. En septembre 2013, le comité de la Sangha Maha Nayaka est intervenu mollement : il a interdit la création de nouvelles organisations liées au groupe extrémiste mais il n’a pas prohibé le mouvement lui-même. Une mesure prise non pas pour contrer l’influence anti musulmane de Ma Ba Tha mais parce que le mouvement radical commençait à asseoir son rôle politique dans un pays où les bonzes sont censés rester loin des affaires publiques. U Wirathu ne s’est pas privé de se moquer de la décision du comité. « Chaque règle et procédure de la Sangha Nayaka a été écrite avec un revolver sur la tempe », a-t-il alors ironisé.
Le mouvement extrémiste a continué à prendre de l’ampleur. En 2015, il était même parvenu à faire passer au Parlement national quatre lois pour « la protection de la race [birmane] et de la religion [bouddhiste] ». De violents affrontements ont opposé les communautés musulmane et bouddhiste aux quatre coins du pays. Le comité de la Sangha Maha Nayaka n’a pas cherché à maitriser la montée en puissance d’U Wirathu. « Ils [ses membres] savaient qui fomentait les troubles entre les communautés et ils n’ont rien fait », accusait par exemple dans le magazine Frontier un bonze respecté.
Ce n’est qu’en mai de cette année que le comité a de fait interdit Ma Ba Tha, un an et demi après la victoire aux élections législatives de la Ligue nationale pour la démocratie, parti politique qui s’était opposé à plusieurs reprises à Ma Ba Tha. Le mouvement extrémiste avait déjà perdu beaucoup de son influence.
En 2007, le comité prenait le parti de l’armée
Cette année marque en outre le dixième anniversaire du soulèvement des bonzes de Birmanie. En août et septembre 2007, des milliers de moines bouddhistes, suivis par des étudiants et des opposants pro démocratiques, avaient osé défier la junte militaire en protestant dans les rues contre la hausse des prix. A cette époque, le comité de la Sangha Maha Nayaka avait très vite rappelé à l’ordre les moines. Dans un rapport publié en décembre 2007, l’organisation Human Rights Watch indiquait que le comité « a[vait] publié la directive 93, ordonnant à tous les comités de la Sangha Nayaka aux niveaux de l’Etat, des divisions, des townships et des quartiers de superviser les moines et novices bouddhistes afin qu’ils ne pratiquent que le Pariyatti (l’étude des enseignements bouddhistes) et le Patipatti (l’engagement dans les pratiques bouddhistes, y compris la méditation), interdisant aux moines de participer aux affaires laïques – en d’autres termes, une interdiction pure et simple de participer aux protestations. » Le comité ne pouvait marquer son soutien à la junte militaire alors au pouvoir de manière plus directe à un moment où de nombreux moines osaient protester contre les autorités, en refusant ostensiblement les offrandes des membres du gouvernement. Le comité a alors clairement pris parti pour l’armée.
Deux mois plus tard, après avoir réprimé les manifestations populaires menées par des moines bouddhistes, la junte militaire louait l’attitude du comité de la Sangha Maha Nayaka : ce dernier « est basé sur l’unité des différentes sectes du clergé et il n’est pas impliqué en politique. Il ne s’occupe que d’affaires religieuses. C’est pour cela que le comité de la Sangha Maha Nayaka existe encore aujourd’hui et qu’il continuera à exister dans le futur. »
Plus récemment, la plus haute autorité bouddhiste de Birmanie a adopté une position très conservatrice sur la réforme de l’éducation, réclamée avec vigueur par plusieurs organisations étudiantes. Elle s’est par exemple opposée à la formation de syndicats étudiants.
D’ordinaire, les silences du comité de la Sangha Maha Nayaka ou ses prises de position pro gouvernementales ne suscitent guère de débat dans la presse birmane. Les critiques sont rares. Toutefois, en 2014, un groupe de bonzes, qui avait manifesté sept ans plus tôt, a osé exprimer son désaccord vis-à-vis du comité de la Sangha Maha Nayaka. Ce dernier « ne soutient pas les moines, s’insurgeait ainsi un de ces bonzes critiques dont Radio Free Asia [LIEN] s’était fait l’écho sur son site Internet. Il confisque des monastères, arrête des moines. C’est pour cela que nous demandons une réforme du comité » qui « ne fait que ce que les autorités lui disent de faire ». Et ce moine de se plaindre de l’institution qui défroquait des bonzes et fermait des monastères pour des raisons avant tout politiques. Selon lui, le comité était devenu le bras religieux du pouvoir des militaires. L’armée s’en servait pour montrer à la population sa proximité avec la religion majoritaire afin de redorer son image ternie après des décennies de dictature militaire. (eda/rf)
Légende image : Des bonzes en train de prier, le 18 septembre 2013, à l'occasion du sixième anniversaire de la révolution de safran. (RFA)
(Source: Eglises d'Asie, le 10 novembre 2017)