Des propos concernant la Chine que le pape François a tenus aux journalistes dans l’avion qui, le 2 octobre dernier, le ramenait de Bakou à Rome, la presse a retenu que, si un voyage du Souverain Pontife à Pékin n’était pas pour « maintenant », les relations entre le Saint-Siège et la Chine populaire étaient « bonnes », le signe de ce réchauffement entre les deux parties étant que « le président Xi Jinping avait envoyé un cadeau au pape ». A y regarder de plus près, un faisceau de présomptions laisse à penser qu’en réalité, le président chinois n’a pas fait parvenir de cadeau au pape.
Qu’a dit le pape ?
Répondant à une question de Jean-Marie Guénois, du Figaro, au sujet d’un éventuel voyage en Chine, le pape commence par répondre que des « commissions de travail » sont à l’œuvre entre Pékin et Rome et continue en disant que bien qu’il soit de nature optimiste, il estime que les choses qui sont menées dans la précipitation ne sont « bonnes ». « Les relations entre le Vatican et la Chine devront bien être normalisées un jour et nous parlons de ceci lentement », précise le pape, en ajoutant qu’il a « la plus haute estime pour la nation chinoise ». Il évoque ensuite à titre d’exemple un symposium organisé très récemment à l’Académie pontificale des sciences au sujet de son encyclique Laudato Si’. « (…) était présente une délégation chinoise du président. Et le président chinois m’a envoyé un cadeau. Les relations sont bonnes », déclare le pape. (On lira ici la transcription officielle en italien du Saint-Siège de cette conversation : « Il popolo cinese ha la mia più alta stima. L’altro ieri, per esempio, c’è stato un convegno di due giorni, credo, nella [Pontificia] Accademia delle Scienze sulla Laudato si’, e c’era una delegazione cinese del Presidente. E il Presidente cinese mi ha inviato un regalo. Ci sono buone relazioni. »)
Quelle délégation chinoise était présente à Rome ?
Le 28 septembre dernier, l’Académie pontificale des sciences sociales, en lien avec le Conseil pontifical ‘Justice et Paix’, a organisé au Vatican un symposium international intitulé « Joint Consultation on Laudato Si’ and the Path to COP [Conference of Parties] 22 », un an après la COP 21 de Paris et quelques semaines avant la COP 22 de Marrakech. Le cardinal ghanéen Peter Turkson, préfet du nouvellement créé dicastère « pour le service du développement humain intégral », a reçu les invités à ce symposium, parmi lesquels figurait une délégation chinoise. C’est une fondation chinoise active dans la protection de l’environnement qui était invitée : la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation (中国生物多样性保护与绿色发展基金会). Et la personne qui représentait la fondation lors de ce symposium a remis un cadeau au pape François. Il s’agit d’un estampage de la très fameuse Stèle nestorienne ou Stèle de Daqin, conservée au Musée des stèles de Xi’an, stèle qui porte le témoignage de la reconnaissance par l’empereur Tang Taizong de la présence de l’Eglise nestorienne dans la Chine du VIIe siècle.
Qui se cache derrière cette fondation chinoise ?
La China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation, initialement connue sous le nom de China Milu Foundation, est une fondation active dans la défense de l’environnement. Elle semble très bien « connectée ». Fondée par Lu Zhengcao, un des premiers généraux de l’Armée populaire de libération, elle est aujourd’hui dirigée par Hu Deping. Archéologue, Hu Deping est aussi le fils aîné de Hu Yaobang (1915-1989), qui fut secrétaire général du Parti communiste chinois de 1982 à 1987 et que Deng Xiaoping limogea pour sa trop grande proximité avec les manifestations étudiantes revendiquant plus de démocratie. Hu Yaobang est mort en avril 1989, trois semaines à peine avant l’écrasement du Printemps de Pékin, place Tiananmen. Selon la presse japonaise, le père de l’actuel président Xi Jinping, Xi Zhongxun, et le père de Hu Deping étaient proches et cette proximité se retrouverait à la génération des fils, ce qui expliquerait que Xi Jinping, en dépit de l’autoritarisme dont il fait preuve depuis qu’il est au pouvoir, ait laissé faire, l’an dernier, la publication des œuvres complètes de Hu Yaobang, des œuvres pourtant empreintes d’un « libéralisme » aujourd’hui peu en cour.
En dépit de cette proximité supposée entre Xi Jinping et Hu Deping, il ne semble pas que Hu Deping faisait partie de la délégation qui a assisté au symposium organisé ce 28 septembre au Vatican. Un message de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation posté le 29 septembre sur Weibo (l’équivalent chinois de Twitter) indique que c’est le « secrétaire général » de la fondation qui a remis au pape l’estampage de la Stèle nestorienne.
Qu’en conclure ?
Du côté du Saint-Siège comme de la Chine, aucun commentaire n’a été émis après que la presse s’est fait l’écho du « cadeau du président Xi Jinping remis au pape François ». Du côté chinois, la presse très officielle, du type Global Times ou Quotidien du Peuple, ne dit mot de l’affaire. Du côté du Saint-Siège, le Bureau de presse du Saint-Siège assure à Eglises d’Asie « ne pas avoir les détails » sur ce point précis.
Peut-on pour autant envisager que le président Xi Jinping ait pu faire remettre un cadeau au pape en passant par l’entremise de cette fondation chinoise ? Selon les observateurs, l’hypothèse aurait eu un début de crédibilité au cas où Hu Deping en personne se soit déplacé à Rome et ait remis en main propre au pape l’estampage en question. En l’absence de Hu Deping, il semble inenvisageable au plan protocolaire que le président chinois passe par des voies aussi détournées pour faire passer de manière somme toute aussi publique un cadeau au pape.
En dépit des déclarations d’intention de part et d’autre faisant état d’un « désir sincère » d’améliorer les relations, celles-ci semblent toujours aussi délicates. Même sur le seul terrain culturel, des chantiers pourtant bien avancés sont aujourd’hui bloqués. On peut citer ici à titre d’exemple le projet de numérisation des 1 200 manuscrits chinois anciens de la dynastie des Qing qui sont conservés à la Bibliothèque du Vatican. L’Université de Pékin devait numériser au Vatican ces précieux écrits et en organiser en 2017 une exposition itinérante dans différentes villes universitaires de Chine. Or, selon nos informations, ce projet est au point mort depuis six mois, la partie chinoise ne donnant plus signe de vie.
Quant à la mention par le pape dans l’avion qui le ramenait de Bakou ce 2 octobre d’une exposition des Musées du Vatican organisée en Chine, nous n’en avons pas trouvé trace, sinon celle de l’exposition qui a eu lieu du 5 février au 2 mai dernier. Intitulée « The Altar, Catholicism Spreads East, The Holy See, The Liturgical Year, The Pope and History, and The Sacraments », elle était bien organisée par le Vatican mais elle a eu lieu non en Chine populaire, mais à Taipei, en République de Chine (Taiwan).
(Source: Eglises d'Asie, le 7 octobre 2016)
Qu’a dit le pape ?
Répondant à une question de Jean-Marie Guénois, du Figaro, au sujet d’un éventuel voyage en Chine, le pape commence par répondre que des « commissions de travail » sont à l’œuvre entre Pékin et Rome et continue en disant que bien qu’il soit de nature optimiste, il estime que les choses qui sont menées dans la précipitation ne sont « bonnes ». « Les relations entre le Vatican et la Chine devront bien être normalisées un jour et nous parlons de ceci lentement », précise le pape, en ajoutant qu’il a « la plus haute estime pour la nation chinoise ». Il évoque ensuite à titre d’exemple un symposium organisé très récemment à l’Académie pontificale des sciences au sujet de son encyclique Laudato Si’. « (…) était présente une délégation chinoise du président. Et le président chinois m’a envoyé un cadeau. Les relations sont bonnes », déclare le pape. (On lira ici la transcription officielle en italien du Saint-Siège de cette conversation : « Il popolo cinese ha la mia più alta stima. L’altro ieri, per esempio, c’è stato un convegno di due giorni, credo, nella [Pontificia] Accademia delle Scienze sulla Laudato si’, e c’era una delegazione cinese del Presidente. E il Presidente cinese mi ha inviato un regalo. Ci sono buone relazioni. »)
Quelle délégation chinoise était présente à Rome ?
Le 28 septembre dernier, l’Académie pontificale des sciences sociales, en lien avec le Conseil pontifical ‘Justice et Paix’, a organisé au Vatican un symposium international intitulé « Joint Consultation on Laudato Si’ and the Path to COP [Conference of Parties] 22 », un an après la COP 21 de Paris et quelques semaines avant la COP 22 de Marrakech. Le cardinal ghanéen Peter Turkson, préfet du nouvellement créé dicastère « pour le service du développement humain intégral », a reçu les invités à ce symposium, parmi lesquels figurait une délégation chinoise. C’est une fondation chinoise active dans la protection de l’environnement qui était invitée : la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation (中国生物多样性保护与绿色发展基金会). Et la personne qui représentait la fondation lors de ce symposium a remis un cadeau au pape François. Il s’agit d’un estampage de la très fameuse Stèle nestorienne ou Stèle de Daqin, conservée au Musée des stèles de Xi’an, stèle qui porte le témoignage de la reconnaissance par l’empereur Tang Taizong de la présence de l’Eglise nestorienne dans la Chine du VIIe siècle.
Qui se cache derrière cette fondation chinoise ?
La China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation, initialement connue sous le nom de China Milu Foundation, est une fondation active dans la défense de l’environnement. Elle semble très bien « connectée ». Fondée par Lu Zhengcao, un des premiers généraux de l’Armée populaire de libération, elle est aujourd’hui dirigée par Hu Deping. Archéologue, Hu Deping est aussi le fils aîné de Hu Yaobang (1915-1989), qui fut secrétaire général du Parti communiste chinois de 1982 à 1987 et que Deng Xiaoping limogea pour sa trop grande proximité avec les manifestations étudiantes revendiquant plus de démocratie. Hu Yaobang est mort en avril 1989, trois semaines à peine avant l’écrasement du Printemps de Pékin, place Tiananmen. Selon la presse japonaise, le père de l’actuel président Xi Jinping, Xi Zhongxun, et le père de Hu Deping étaient proches et cette proximité se retrouverait à la génération des fils, ce qui expliquerait que Xi Jinping, en dépit de l’autoritarisme dont il fait preuve depuis qu’il est au pouvoir, ait laissé faire, l’an dernier, la publication des œuvres complètes de Hu Yaobang, des œuvres pourtant empreintes d’un « libéralisme » aujourd’hui peu en cour.
En dépit de cette proximité supposée entre Xi Jinping et Hu Deping, il ne semble pas que Hu Deping faisait partie de la délégation qui a assisté au symposium organisé ce 28 septembre au Vatican. Un message de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation posté le 29 septembre sur Weibo (l’équivalent chinois de Twitter) indique que c’est le « secrétaire général » de la fondation qui a remis au pape l’estampage de la Stèle nestorienne.
Qu’en conclure ?
Du côté du Saint-Siège comme de la Chine, aucun commentaire n’a été émis après que la presse s’est fait l’écho du « cadeau du président Xi Jinping remis au pape François ». Du côté chinois, la presse très officielle, du type Global Times ou Quotidien du Peuple, ne dit mot de l’affaire. Du côté du Saint-Siège, le Bureau de presse du Saint-Siège assure à Eglises d’Asie « ne pas avoir les détails » sur ce point précis.
Peut-on pour autant envisager que le président Xi Jinping ait pu faire remettre un cadeau au pape en passant par l’entremise de cette fondation chinoise ? Selon les observateurs, l’hypothèse aurait eu un début de crédibilité au cas où Hu Deping en personne se soit déplacé à Rome et ait remis en main propre au pape l’estampage en question. En l’absence de Hu Deping, il semble inenvisageable au plan protocolaire que le président chinois passe par des voies aussi détournées pour faire passer de manière somme toute aussi publique un cadeau au pape.
En dépit des déclarations d’intention de part et d’autre faisant état d’un « désir sincère » d’améliorer les relations, celles-ci semblent toujours aussi délicates. Même sur le seul terrain culturel, des chantiers pourtant bien avancés sont aujourd’hui bloqués. On peut citer ici à titre d’exemple le projet de numérisation des 1 200 manuscrits chinois anciens de la dynastie des Qing qui sont conservés à la Bibliothèque du Vatican. L’Université de Pékin devait numériser au Vatican ces précieux écrits et en organiser en 2017 une exposition itinérante dans différentes villes universitaires de Chine. Or, selon nos informations, ce projet est au point mort depuis six mois, la partie chinoise ne donnant plus signe de vie.
Quant à la mention par le pape dans l’avion qui le ramenait de Bakou ce 2 octobre d’une exposition des Musées du Vatican organisée en Chine, nous n’en avons pas trouvé trace, sinon celle de l’exposition qui a eu lieu du 5 février au 2 mai dernier. Intitulée « The Altar, Catholicism Spreads East, The Holy See, The Liturgical Year, The Pope and History, and The Sacraments », elle était bien organisée par le Vatican mais elle a eu lieu non en Chine populaire, mais à Taipei, en République de Chine (Taiwan).
(Source: Eglises d'Asie, le 7 octobre 2016)