Eglises d'Asie, 5 octobre 2011 - A la fin du mois de juillet et pendant tout le mois d’août 2011, plus d’une dizaine de catholiques ont été arrêtés par la Sécurité publique vietnamienne, accusés de tentative de renversement du pouvoir populaire (1). Mgr Paul Nguyên Thai Hop, qui est président de la Commission nationale ‘Justice et Paix’ et évêque du diocèse de Vinh, ...

... prend aujourd’hui la parole à ce sujet dans une lettre qu’il a intitulé lui-même « Lettre ouverte », une lettre qui est datée du 4 octobre (2), le lendemain de l’ouverture de la deuxième assemblée annuelle de la Conférence épiscopale à Saigon (3).

La plus grande partie de la lettre est consacrée au compte-rendu d’une réponse de l’évêque de Vinh a une lettre officielle de la province du Ngê An l’avertissant que des « citoyens catholiques » de son diocèse avaient été arrêtés et inculpés d’activité criminelle visant à renverser le pouvoir populaire. L’évêque répond en exposant la conception de l’Eglise catholique en matière de relations avec le pouvoir politique. Il fait de larges citations des documents du concile Vatican II et du droit canon. Pour ce qui est de l’engagement des catholiques en politique, il affirme, en citant le droit canon, qu’il est interdit aux clercs et réservé entièrement aux laïcs. Ces derniers sont entièrement responsables de leur choix en ce domaine.

En ce qui concerne les chrétiens arrêtés et internés, Mgr Hop affirme avoir à de nombreuses reprises pris contact avec les divers services compétents et les avoirs pressés de donner une solution rapide à cette affaire, mais en vain. Il se fait aussi l’écho de l’opinion publique qui s’indigne de ces arrestations et se pose de nombreuses questions à leur sujet. Enfin, il profite de l’occasion pour préciser le rôle de la Commission ‘Justice et Paix’.

Lettre ouverte de Mgr Paul Nguyên Thai Hop,
président de la Commission ‘Justice et Paix’

Le 4 octobre 2011,

Dans la deuxième décade du mois d’août 2011, plus d’une dizaine de citoyens vietnamiens parmi lesquels huit étaient des catholiques du diocèse de Vinh, ont été arrêtés et emprisonnés par la Sécurité publique vietnamienne. L’opinion publique à l’intérieur comme à l’extérieur du pays s’est émue et s’est posé beaucoup de questions à ce sujet. Les familles des personnes ainsi arrêtées ont écrit des lettres priant les évêques d’élever la voix. De nombreuses personnes ont aussi écrit à la Commission ‘Justice et Paix’ évoquant, toutes, cette même affaire.

Dans une lettre adressée le 17 septembre 2011 à l’évêché de Xa Doai (diocèse de Vinh), le Comité populaire de la province du Nghê An mentionne également cette affaire en ces termes : « Un certain nombre de citoyens catholiques ont violé la loi, en menant des activités criminelles s’opposant à l’Etat, visant à renverser le pouvoir populaire. Ils ont été inculpés et arrêtés. »

M’appuyant sur la doctrine sociale de l’Eglise, je me permets de répondre ceci :

1.) La mission de l’Eglise, qui est aussi celle de tous les chrétiens, est de vivre et d’annoncer l’Evangile dans toutes les cultures, tous les environnements économiques, sociaux, politiques. Cependant, à cause de la nature de sa mission propre, l’Eglise ne peut être confondue avec aucun régime politique, aucun système économique, aucune culture. Le texte suivant du concile Vatican II nous montre clairement les relations à la fois multiples et complexes entre l’Eglise et la réalité sociale et politique : « (…) L’Eglise qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se confond d’aucune manière avec la communauté politique et n’est liée à aucun système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine. Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d’autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu’elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu. (…) » (Gaudium et spes, 76).

2.) Appliquant le point de vue du concile Vatican II à la situation du Vietnam, le pape Benoît XVI nous a proposé une orientation : « Dialoguer franchement et collaborer loyalement ». Il a dit : « (…), l’Eglise invite tous ses membres à s’engager loyalement pour l’édification d’une société juste, solidaire et équitable. Elle n’entend nullement se substituer aux responsables gouvernementaux, souhaitant seulement pouvoir, dans un esprit de dialogue et de collaboration respectueuse, prendre une juste part à la vie de la nation, au service de tout le peuple. » (discours du pape Benoît XVI aux évêques vietnamiens lors de leur visite ad limina 2009).

3.) Mais il y a une différence profonde entre, d’une part, la conscience politique, le point de vue social, l’engagement au service de la société et, d’autre part, l’engagement direct dans un parti politique. Selon le droit canon actuel, « [les clercs] ne prendront pas une part active dans les partis politiques ni dans la direction des associations syndicales, à moins que, au jugement de l’autorité ecclésiastique compétente, la défense des droits de l’Eglise ou la promotion du bien commun ne le requièrent » (article 287, § 2).

4.) Pour ce qui concerne les laïcs, la question est totalement différente : le monde, son humanisation, l’engagement social sont considérés comme les domaines particuliers des laïcs. L’engagement politique est un domaine particulier des activités sociales du laïcat. La doctrine sociale de l’Eglise guide les croyants dans leur choix de solutions politiques au service du bien commun, du développement, de la justice, de la défense des droits de l’homme, de l’édification de la démocratie et du renforcement de la paix. Mais il est très possible que des fidèles loyaux et très désireux de servir divergent et fassent des choix politiques différents. Ce sont en effet des choix individuels sur le plan civique. Chaque personne doit assumer la responsabilité de son choix politique et personne ne peut dire que son choix est plus conforme à l’Evangile que d’autres ou se réclamer de l’autorité de l’Eglise pour justifier son choix politique (Gaudium et Spes, 43).

5.) En référence à la doctrine sociale de l’Eglise, j’ai aussi répondu à la lettre N° 5 483 du Comité populaire de la province du Nghê An. Je m’inquiète et je me demande pourquoi le Comité porte l’affaire appelée : « Un certain nombre de citoyens catholiques ont violé la loi, en menant des activités criminelles s’opposant à l’Etat, … » à la connaissance de l’évêque du diocèse de Vinh. En tant que citoyens vietnamiens, ils ont le droit d’effectuer des choix particuliers dans le domaine social. Moi-même et les diverses instances du diocèse de Vinh n’assumons pas la responsabilité de leurs choix en matière civile. Cependant, l’opinion s’irrite et pose de nombreuses questions concernant cette affaire. En qualité de président de la Commission ‘Justice et Paix’, dépendant de la Conférence épiscopale du Vietnam, j’ai téléphoné à un certain nombre d’organismes, leur demandant de régler au plus tôt cette affaire et de rassurer le peuple. Mais, jusqu’à présent je n’ai encore reçu aucune réponse positive. Je souhaite que les organes compétents règlent cette affaire conformément à la législation vietnamienne et au droit international.

6.) A peine créée, la Commission ‘Justice et Paix’ dépendant de la Conférence épiscopale du Vietnam, a dû immédiatement faire face a un certain nombre de questions sensibles comme celles des propriétés (foncières confisquées par les autorités, NdT), des droits de l’homme, de la souveraineté nationale, etc. C’est pourquoi les divers textes et les interventions de la Commission sont en rapport avec ce type de problèmes. C’est peut-être à cause de cela que certains ont pensé que la Commission était un organisme spécialisé dans le règlement des plaintes. En réalité, nous avons reçu de nombreux dossiers concernant des propriétés spoliées, des plaintes en matière civile, des activités politiques.

7.) Une fois encore, je tiens à l’affirmer, la mission de la Commission est de diffuser la doctrine sociale de l’Eglise afin que les fidèles la comprennent, en vivent et édifient une société conforme aux orientations de l’Eglise. C’est une forme de vie et une annonce de l’Evangile pour notre temps. Bien évidemment, notre Commission émettra des jugements en fonction de la doctrine sociale de l’Eglise s’efforcera de protéger la justice et les droits de l’homme. Mais, jamais, elle ne jouera le rôle de bureau des plaintes…

Chers amis, je vous prie de bien vouloir collaborer avec nous afin que nous accomplissions cette mission difficile. Veuillez ne pas charger la Commission de tâches qui ne relèvent pas de sa mission et de ses capacités.

Le 4 octobre 2011
Paul Nguyên Thai Hop, président de la Commission ‘Justice et Paix’


(1) EDA a rendu compte de l’ensemble de ces arrestations. On n’en trouvera les récits détaillés dans les dépêches du 19 août : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/vietnam/vague-d2019arrestations-de-jeunes-militants-catholiques et 26 août 2011: http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/vietnam/cinq-des-jeunes-catholiques-arretes-sont-accuses-de-complot-visant-a-renverser-le-gouvernement-1
(2) On trouvera le texte vietnamiens de la lettre ouverte de site de vie catholique : http://vietcatholic.net/Media/thutraloi.pdf ou dans le site du diocèse de Vinh ; http://giaophanvinh.net/modules.php?name=News&op=viewst&sid=7791
(3) Voir la dépêche EDA du 5 octobre 2011 : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/vietnam/les-eveques-catholiques-du-vietnam-se-rassemblent-pour-leur-deuxieme-reunion-annuelle-tandis-que-le-representant-du-pape-entame-son-quatrieme-voyage-dans-ce-pays

(Source: Eglises d'Asie, 5 octobre 2011)