Une opération mobilisant durant trois semaines 4 000 policiers et des centaines de militaires pour arrêter l’ancien supérieur du temple bouddhique controversé Dhammakaya entre la mi-février et le 10 mars a été un sévère fiasco pour la junte thaïlandaise. Non seulement le moine Dhammachayo n’a pas pu être localisé, mais le déploiement massif de forces a créé un fort courant de sympathie pour le temple, même parmi les groupes dans l’opinion qui étaient jusqu’à présent indifférents voire suspicieux vis-à-vis de ce puissant mouvement religieux qui compterait environ deux millions d’adeptes dans le royaume.
La junte avait utilisé pour organiser l’opération l’article 44 de la Constitution provisoire, mise en place par la junte après le coup d’Etat de mai 2014. Cet article, très critiqué par la société civile, accorde des pouvoirs absolus au général Prayut Chan-ocha, chef de la junte et Premier ministre, sans supervision de l’exécutif, du pouvoir législatif ou judiciaire. Le fait que, malgré ce recours à des mesures drastiques, l’opération – durant laquelle le temple qui s’étale sur 320 hectares au nord de Bangkok a été fouillé de fond en comble – n’ait rien donné a entamé la crédibilité du régime militaire, déjà mis en difficulté sur le front économique et sur les questions de droits de l’homme.
Un temple qui échappe au contrôle des militaires
L’objectif d’arrêter le moine Dhammachayo, accusé de malversations financières et de blanchiment d’argent, a semblé être un prétexte pour mettre en place un contrôle plus étroit sur une institution structurée à l’échelle nationale qui met mal à l’aise un régime habitué à tout contrôler. Comme l’arrestation n’a pas pu avoir lieu, il est plus difficile pour les militaires d’imposer ces mesures de contrôle sur le temple, qui, dans les faits, constitue un mouvement bouddhique en marge du bouddhisme thaïlandais dominant, mais inscrit dans la même structure administrative dirigée par le patriarche suprême et le Conseil suprême du Sangha.
Après le 10 mars, la junte a démis de leurs fonctions ecclésiastiques les principaux dirigeants du temple, Dhammachayo bien sûr, mais aussi Phra Thatachiwo, supérieur adjoint qui dirigeait les départements financier et marketing de ce temple richissime, et d’autres bonzes de haut rang. Le gouvernement souhaite nommer à leur place des moines sans aucun lien avec le mouvement Dhammakaya, mais il paraît douteux que les centaines de milliers de fidèles de Dhammakaya se soumettent à ces nouveaux arrivants ignorants de la doctrine de Dhammakaya, laquelle repose sur la pratique d’une technique de méditation ancienne basée sur la visualisation à l’intérieur du corps d’une boule de cristal. Le temple Dhammakaya n’est pas un temple comme les autres où l’on peut transférer et nommer à loisir de nouveaux supérieurs, c’est une communauté, presque une secte, dont les membres sont prêts à presque tout pour protéger le mouvement et n’ont pas confiance dans les émissaires de l’Etat.
Un autre obstacle de taille vient du mode de fonctionnement de l’administration monastique. En Thaïlande, seuls les supérieurs ecclésiastiques des dirigeants du temple Dhammakaya ont le pouvoir de les sanctionner pour des motifs de discipline monastique. Or, rien n’indique clairement que les moines Dhammachayo et Thatachivo aient gravement enfreint la discipline, dont les règles sont clairement écrites dans le vinaya, l’une des trois corbeilles du Tripitaka, la collection de livres sacrés du bouddhisme Theravada. D’où l’embarras du chef ecclésiastique de la région centrale – dont dépend le temple Dhammakaya – et d’un certain nombre de membres du Conseil suprême du Sangha devant les pressions du régime militaire pour des sanctions contre les anciens dirigeants du temple. Il reste que si ces moines sont condamnés au plan civil ou au plan pénal, ils devraient automatiquement quitter le froc.
Une Eglise bouddhique aux ordres
La volonté du régime militaire de mettre le temple Dhammakaya sous contrôle vient essentiellement de ce que les généraux au pouvoir sont convaincus que des liens étroits existent entre le clan politique de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (1) et le temple. Les preuves de tels liens sont ténues, même si, en effet, certains hommes d’affaires pro-Thaksin sont aussi des soutiens financiers du temple. Cette volonté – et cette conviction de l’existence d’une proximité – a été clairement illustrée dès après la fin de l’opération contre le temple. La police a d’une part lancé une enquête sur des malversations financières impliquant la famille d’Anant Asavabhokin, un homme d’affaires important du secteur immobilier partisan de Dhammakaya. D’autre part, le régime militaire a lié la découverte d’une cache d’armes à la mi-mars dans la province de Pathum Thani, au nord de Bangkok, à une possible opération des Chemises rouges – les partisans de Thaksin Shinawatra – contre les forces de sécurité lorsque celles-ci encerclaient le temple entre le 16 février et le 10 mars.
Sur un plan plus général, la mise en place puis l’échec de l’opération de février-mars contre le temple a montré dans toute sa crudité la relation très étroite entre l’Eglise bouddhique et l’Etat en Thaïlande. Au cours de la crise, la junte a nommé un lieutenant-colonel de police, Pongporn Pramsaneh, commandant au Département des Enquêtes spéciales, à la tête du Bureau national du bouddhisme, un poste jusque-là occupé par un laïc expert des questions religieuses. Les injonctions données par la junte au Conseil suprême du Sangha montrent aussi combien la fine ligne de séparation entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel est devenue floue. A terme, cet asservissement de l’Eglise bouddhique au gouvernement – qui plus est un gouvernement qui a été installé par un coup d’Etat – pourrait nuire gravement à la crédibilité de l’Eglise bouddhique thaïlandaise, estiment les analystes. (eda/ad)
(1) Renversé par un coup d’Etat en septembre 2006 et vivant en exil depuis 2008 peu avant une condamnation à deux ans de prison pour abus de pouvoir.
(Source: Eglises d'Asie, le 27 mars 2017)
La junte avait utilisé pour organiser l’opération l’article 44 de la Constitution provisoire, mise en place par la junte après le coup d’Etat de mai 2014. Cet article, très critiqué par la société civile, accorde des pouvoirs absolus au général Prayut Chan-ocha, chef de la junte et Premier ministre, sans supervision de l’exécutif, du pouvoir législatif ou judiciaire. Le fait que, malgré ce recours à des mesures drastiques, l’opération – durant laquelle le temple qui s’étale sur 320 hectares au nord de Bangkok a été fouillé de fond en comble – n’ait rien donné a entamé la crédibilité du régime militaire, déjà mis en difficulté sur le front économique et sur les questions de droits de l’homme.
Un temple qui échappe au contrôle des militaires
L’objectif d’arrêter le moine Dhammachayo, accusé de malversations financières et de blanchiment d’argent, a semblé être un prétexte pour mettre en place un contrôle plus étroit sur une institution structurée à l’échelle nationale qui met mal à l’aise un régime habitué à tout contrôler. Comme l’arrestation n’a pas pu avoir lieu, il est plus difficile pour les militaires d’imposer ces mesures de contrôle sur le temple, qui, dans les faits, constitue un mouvement bouddhique en marge du bouddhisme thaïlandais dominant, mais inscrit dans la même structure administrative dirigée par le patriarche suprême et le Conseil suprême du Sangha.
Après le 10 mars, la junte a démis de leurs fonctions ecclésiastiques les principaux dirigeants du temple, Dhammachayo bien sûr, mais aussi Phra Thatachiwo, supérieur adjoint qui dirigeait les départements financier et marketing de ce temple richissime, et d’autres bonzes de haut rang. Le gouvernement souhaite nommer à leur place des moines sans aucun lien avec le mouvement Dhammakaya, mais il paraît douteux que les centaines de milliers de fidèles de Dhammakaya se soumettent à ces nouveaux arrivants ignorants de la doctrine de Dhammakaya, laquelle repose sur la pratique d’une technique de méditation ancienne basée sur la visualisation à l’intérieur du corps d’une boule de cristal. Le temple Dhammakaya n’est pas un temple comme les autres où l’on peut transférer et nommer à loisir de nouveaux supérieurs, c’est une communauté, presque une secte, dont les membres sont prêts à presque tout pour protéger le mouvement et n’ont pas confiance dans les émissaires de l’Etat.
Un autre obstacle de taille vient du mode de fonctionnement de l’administration monastique. En Thaïlande, seuls les supérieurs ecclésiastiques des dirigeants du temple Dhammakaya ont le pouvoir de les sanctionner pour des motifs de discipline monastique. Or, rien n’indique clairement que les moines Dhammachayo et Thatachivo aient gravement enfreint la discipline, dont les règles sont clairement écrites dans le vinaya, l’une des trois corbeilles du Tripitaka, la collection de livres sacrés du bouddhisme Theravada. D’où l’embarras du chef ecclésiastique de la région centrale – dont dépend le temple Dhammakaya – et d’un certain nombre de membres du Conseil suprême du Sangha devant les pressions du régime militaire pour des sanctions contre les anciens dirigeants du temple. Il reste que si ces moines sont condamnés au plan civil ou au plan pénal, ils devraient automatiquement quitter le froc.
Une Eglise bouddhique aux ordres
La volonté du régime militaire de mettre le temple Dhammakaya sous contrôle vient essentiellement de ce que les généraux au pouvoir sont convaincus que des liens étroits existent entre le clan politique de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (1) et le temple. Les preuves de tels liens sont ténues, même si, en effet, certains hommes d’affaires pro-Thaksin sont aussi des soutiens financiers du temple. Cette volonté – et cette conviction de l’existence d’une proximité – a été clairement illustrée dès après la fin de l’opération contre le temple. La police a d’une part lancé une enquête sur des malversations financières impliquant la famille d’Anant Asavabhokin, un homme d’affaires important du secteur immobilier partisan de Dhammakaya. D’autre part, le régime militaire a lié la découverte d’une cache d’armes à la mi-mars dans la province de Pathum Thani, au nord de Bangkok, à une possible opération des Chemises rouges – les partisans de Thaksin Shinawatra – contre les forces de sécurité lorsque celles-ci encerclaient le temple entre le 16 février et le 10 mars.
Sur un plan plus général, la mise en place puis l’échec de l’opération de février-mars contre le temple a montré dans toute sa crudité la relation très étroite entre l’Eglise bouddhique et l’Etat en Thaïlande. Au cours de la crise, la junte a nommé un lieutenant-colonel de police, Pongporn Pramsaneh, commandant au Département des Enquêtes spéciales, à la tête du Bureau national du bouddhisme, un poste jusque-là occupé par un laïc expert des questions religieuses. Les injonctions données par la junte au Conseil suprême du Sangha montrent aussi combien la fine ligne de séparation entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel est devenue floue. A terme, cet asservissement de l’Eglise bouddhique au gouvernement – qui plus est un gouvernement qui a été installé par un coup d’Etat – pourrait nuire gravement à la crédibilité de l’Eglise bouddhique thaïlandaise, estiment les analystes. (eda/ad)
(1) Renversé par un coup d’Etat en septembre 2006 et vivant en exil depuis 2008 peu avant une condamnation à deux ans de prison pour abus de pouvoir.
(Source: Eglises d'Asie, le 27 mars 2017)