Mgr Joseph Nguyên Chi Linh, président de la conférence épiscopale du Vietnam et archevêque de Hué, a répondu aux questions d’Églises d’Asie à l’occasion de la visite des 32 évêques vietnamiens aux Missions Étrangères de Paris. Ils se rendront ensuite à Rome pour leur visite au pape « Ad Limina » (« au seuil des apôtres »). Rencontre.
Églises d’Asie : Mgr Linh, vous fêtez cette année le trentième anniversaire de la canonisation des 117 martyrs du Vietnam par Jean-Paul II, en 1988. Comment allez-vous célébrer cela ?
Mgr Joseph Nguyên Chi Linh : Pour l’occasion, nous allons proposer au peuple de Dieu du Vietnam d’étudier plus profondément l’histoire et la spiritualité des martyrs. Nous allons organiser des rassemblements dans les trois provinces ecclésiastiques. Au nord, dans la province de Hanoï ; au centre, dans la province de Hué, où se trouve le sanctuaire Notre-Dame de La Vang, le lieu de pèlerinage le plus important du Vietnam ; et enfin au sud, au centre de Ba Giong, dans le diocèse de My Tho, dans la province de Saigon [ndlr : Ho Chi Minh Ville]. Ces trois provinces, qui comptent chacune une dizaine de diocèses, rassembleront tous les catholiques.
Quand les festivités commenceront-elles ?
Le point culminant sera le 24 novembre [ndlr : ce jour-là, l’Église fête les Saints martyrs du Vietnam, André Dung Lac, prêtre, et ses compagnons martyrs, tués entre 1 745 et 1 862]. Les célébrations ont commencé, et elles dureront toute l’année. Dix prêtres, parmi les 117 martyrs, sont des pères MEP. Onze autres sont espagnols, et les autres sont vietnamiens. Ils sont connus au Vietnam comme des fêtes, mais seuls ceux qui font des études approfondies, au grand séminaire, les connaissent mieux…
Vous avez étudié à l’Institut catholique de Paris et vous êtes nommé cette semaine membre honoraire des Missions Étrangères de Paris. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
À l’origine, les Missions Étrangères de Paris ont été fondées pour les missions au Vietnam, sur la proposition du père Alexandre de Rhodes, un jésuite envoyé par le Saint-Siège. Nous sommes donc très proches des Missions Étrangères de Paris. La plupart des diocèses au Vietnam ont été fondés par les MEP… Depuis, un quart des missionnaires MEP ont été envoyés au Vietnam [ndlr : 1057 pères MEP - sur 4309 - ont été envoyés au Vietnam depuis le début de la société]. C’est seulement à partir de 1975, quand le pays est tombé entre les mains du régime communiste, que les missionnaires de la société ont dû quitter le pays. Mais la coopération continue. Les MEP continuent d’héberger les prêtres pour leurs études. Actuellement, une quinzaine d’évêques vietnamiens ont été formés à Paris.
Qu’est-ce que cette formation apporte de spécifique à l’Église du Vietnam ?
Ce qui m’a le plus marqué, c’est la rigueur intellectuelle. Il y a une vraie rigueur dans l’argumentation, dans la manière de penser. Les études sont très marquées par l’esprit cartésien français, très logique.
Il semble d’ailleurs que l’étude du français a tendance à disparaître ?
Pour moi, le français est une langue d’étude, mais pour la jeune génération, l’anglais est plus populaire parce que c’est la langue des affaires et celles des relations internationales avec les pays de la région, la Thaïlande, Singapour, la Chine… Seuls ceux qui font des études en France et l’ancienne génération ont appris le français.
Vous êtes donc des interlocuteurs privilégiés pour la France !
Je ne sais pas quel rôle nous jouons entre la France et le Vietnam, mais j’ai l’impression que les Français sont heureux de retrouver des Vietnamiens qui parlent français, surtout pour les descendants des anciens militants d’Indochine. Je pense que c’est une bonne chose que des Vietnamiens continuent de parler français. Cela permet de favoriser les relations avec les pays francophones, et cela donne un certain équilibre aux relations internationales…
Peut-on dire que l’athéisme progresse au Vietnam ?
Je crois qu’il faut comprendre le mot athéisme sous différents sens. Par exemple, l’athéisme pur n’existe pas au Vietnam. Les Vietnamiens en général, même les non catholiques, croient en Dieu. Il ne s’agit pas forcément d’un Dieu biblique ou chrétien, mais d’un être qui appartient à un monde spirituel, ou plutôt surnaturel. Très peu de Vietnamiens se disent vraiment athées. C’est vrai aussi chez les jeunes.
Comment l’Église au Vietnam a-t-elle évolué ces dernières années ?
En quantité, l’Église au Vietnam ne s’est pas développée. Elle a suivi l’évolution démographique du pays, et la proportion de catholiques n’évolue pas. Cela dit, les Vietnamiens ont aujourd’hui une meilleure image de l’Église. Après une longue période de cohabitation, les communistes comprennent mieux l’Église catholique. Au début, en temps de guerre et sous l’influence de l’idéologie marxiste, ils prenaient les catholiques pour des groupes sous l’influence de puissances étrangères. Mais de plus en plus, les témoignages des catholiques sont beaucoup mieux reçus. Je suis optimiste.
Avec le développement des villes, la pastorale a dû changer ?
Oui, c’est partout le même problème. Beaucoup de jeunes viennent travailler dans les grandes villes et dans les centres industriels. Cela pose de gros problèmes pour la pastorale. C’est très difficile à gérer, car cela surcharge parfois les curés… De plus, les jeunes sont trop pris par leur travail et n’ont pas le temps d’aller à l’Église pour partager des moments communautaires… Pourtant, les jeunes vietnamiens ne tournent pas le dos à l’Église, mais ils sont obligés de s’adapter à la vie moderne.
Quels sont vos projets pour l’Église au Vietnam ?
Depuis très longtemps, les Vietnamiens ont été coupés du monde. Nous avons très peu de relations avec le monde catholique. À l’avenir, il faudra créer différentes occasions pour permettre cela. Par ailleurs, après une longue période de conflits idéologiques et de guerres, l’Église est presque ruinée. Il nous faut rattraper ce que nous avons perdu ! Durant cette période, tout a été fermé : les établissements de formation pour les prêtres et les religieux, les écoles catholiques… Aujourd’hui, la politique est un peu plus ouverte, mais nous avons besoin de davantage de liberté dans le domaine éducatif. Car nous n’avons pas d’universités, de facultés, d’écoles secondaires… Même le personnel de l’Église est peu formé. C’est pour cela que nous envoyons beaucoup de prêtres faire leurs études à l’étranger.
Avez-vous un dernier message à adresser ?
Mon message traditionnel est toujours actuel ! Je vous demande de prier pour nous, pour une Église qui a connu beaucoup de difficultés et qui a besoin de l’aide des Églises sœurs. Nous invitons tous ceux qui aiment l’Église au Vietnam à venir nous rencontrer, pour partager notre amitié, notre hospitalité, et aussi nos besoins. (eda/ol)
(Source: Eglises d'Asie, le 28 février 2018)
Mgr Joseph Nguyên Chi Linh : Pour l’occasion, nous allons proposer au peuple de Dieu du Vietnam d’étudier plus profondément l’histoire et la spiritualité des martyrs. Nous allons organiser des rassemblements dans les trois provinces ecclésiastiques. Au nord, dans la province de Hanoï ; au centre, dans la province de Hué, où se trouve le sanctuaire Notre-Dame de La Vang, le lieu de pèlerinage le plus important du Vietnam ; et enfin au sud, au centre de Ba Giong, dans le diocèse de My Tho, dans la province de Saigon [ndlr : Ho Chi Minh Ville]. Ces trois provinces, qui comptent chacune une dizaine de diocèses, rassembleront tous les catholiques.
Quand les festivités commenceront-elles ?
Le point culminant sera le 24 novembre [ndlr : ce jour-là, l’Église fête les Saints martyrs du Vietnam, André Dung Lac, prêtre, et ses compagnons martyrs, tués entre 1 745 et 1 862]. Les célébrations ont commencé, et elles dureront toute l’année. Dix prêtres, parmi les 117 martyrs, sont des pères MEP. Onze autres sont espagnols, et les autres sont vietnamiens. Ils sont connus au Vietnam comme des fêtes, mais seuls ceux qui font des études approfondies, au grand séminaire, les connaissent mieux…
Vous avez étudié à l’Institut catholique de Paris et vous êtes nommé cette semaine membre honoraire des Missions Étrangères de Paris. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
À l’origine, les Missions Étrangères de Paris ont été fondées pour les missions au Vietnam, sur la proposition du père Alexandre de Rhodes, un jésuite envoyé par le Saint-Siège. Nous sommes donc très proches des Missions Étrangères de Paris. La plupart des diocèses au Vietnam ont été fondés par les MEP… Depuis, un quart des missionnaires MEP ont été envoyés au Vietnam [ndlr : 1057 pères MEP - sur 4309 - ont été envoyés au Vietnam depuis le début de la société]. C’est seulement à partir de 1975, quand le pays est tombé entre les mains du régime communiste, que les missionnaires de la société ont dû quitter le pays. Mais la coopération continue. Les MEP continuent d’héberger les prêtres pour leurs études. Actuellement, une quinzaine d’évêques vietnamiens ont été formés à Paris.
Qu’est-ce que cette formation apporte de spécifique à l’Église du Vietnam ?
Ce qui m’a le plus marqué, c’est la rigueur intellectuelle. Il y a une vraie rigueur dans l’argumentation, dans la manière de penser. Les études sont très marquées par l’esprit cartésien français, très logique.
Il semble d’ailleurs que l’étude du français a tendance à disparaître ?
Pour moi, le français est une langue d’étude, mais pour la jeune génération, l’anglais est plus populaire parce que c’est la langue des affaires et celles des relations internationales avec les pays de la région, la Thaïlande, Singapour, la Chine… Seuls ceux qui font des études en France et l’ancienne génération ont appris le français.
Vous êtes donc des interlocuteurs privilégiés pour la France !
Je ne sais pas quel rôle nous jouons entre la France et le Vietnam, mais j’ai l’impression que les Français sont heureux de retrouver des Vietnamiens qui parlent français, surtout pour les descendants des anciens militants d’Indochine. Je pense que c’est une bonne chose que des Vietnamiens continuent de parler français. Cela permet de favoriser les relations avec les pays francophones, et cela donne un certain équilibre aux relations internationales…
Peut-on dire que l’athéisme progresse au Vietnam ?
Je crois qu’il faut comprendre le mot athéisme sous différents sens. Par exemple, l’athéisme pur n’existe pas au Vietnam. Les Vietnamiens en général, même les non catholiques, croient en Dieu. Il ne s’agit pas forcément d’un Dieu biblique ou chrétien, mais d’un être qui appartient à un monde spirituel, ou plutôt surnaturel. Très peu de Vietnamiens se disent vraiment athées. C’est vrai aussi chez les jeunes.
Comment l’Église au Vietnam a-t-elle évolué ces dernières années ?
En quantité, l’Église au Vietnam ne s’est pas développée. Elle a suivi l’évolution démographique du pays, et la proportion de catholiques n’évolue pas. Cela dit, les Vietnamiens ont aujourd’hui une meilleure image de l’Église. Après une longue période de cohabitation, les communistes comprennent mieux l’Église catholique. Au début, en temps de guerre et sous l’influence de l’idéologie marxiste, ils prenaient les catholiques pour des groupes sous l’influence de puissances étrangères. Mais de plus en plus, les témoignages des catholiques sont beaucoup mieux reçus. Je suis optimiste.
Avec le développement des villes, la pastorale a dû changer ?
Oui, c’est partout le même problème. Beaucoup de jeunes viennent travailler dans les grandes villes et dans les centres industriels. Cela pose de gros problèmes pour la pastorale. C’est très difficile à gérer, car cela surcharge parfois les curés… De plus, les jeunes sont trop pris par leur travail et n’ont pas le temps d’aller à l’Église pour partager des moments communautaires… Pourtant, les jeunes vietnamiens ne tournent pas le dos à l’Église, mais ils sont obligés de s’adapter à la vie moderne.
Quels sont vos projets pour l’Église au Vietnam ?
Depuis très longtemps, les Vietnamiens ont été coupés du monde. Nous avons très peu de relations avec le monde catholique. À l’avenir, il faudra créer différentes occasions pour permettre cela. Par ailleurs, après une longue période de conflits idéologiques et de guerres, l’Église est presque ruinée. Il nous faut rattraper ce que nous avons perdu ! Durant cette période, tout a été fermé : les établissements de formation pour les prêtres et les religieux, les écoles catholiques… Aujourd’hui, la politique est un peu plus ouverte, mais nous avons besoin de davantage de liberté dans le domaine éducatif. Car nous n’avons pas d’universités, de facultés, d’écoles secondaires… Même le personnel de l’Église est peu formé. C’est pour cela que nous envoyons beaucoup de prêtres faire leurs études à l’étranger.
Avez-vous un dernier message à adresser ?
Mon message traditionnel est toujours actuel ! Je vous demande de prier pour nous, pour une Église qui a connu beaucoup de difficultés et qui a besoin de l’aide des Églises sœurs. Nous invitons tous ceux qui aiment l’Église au Vietnam à venir nous rencontrer, pour partager notre amitié, notre hospitalité, et aussi nos besoins. (eda/ol)
(Source: Eglises d'Asie, le 28 février 2018)