Mardi 27 mai dernier, le texte du projet de loi très controversée sur la conversion religieuse a été publié dans les journaux officiels, le gouvernement de la Birmanie appelant la population à donner son avis jusqu’au 20 juin, date à laquelle le projet sera discuté devant le Parlement.
Cette loi anti-conversion fait partie d'un ensemble de quatre projets législatifs élaborés par une coalition de bonzes radicaux regroupés sous la bannière de l’Organization for the Protection of Race, Religion, and Belief (OPRRB).
Présentés pour la première fois en juin dernier sous la forme d’une pétition qui avait réuni plus de 1,3 million de signatures, ces projets de loi font suite à une campagne de haine et de violence contre les musulmans orchestrée par les bonzes nationalistes du « mouvement 969 » dirigés par le moine Wirathu. Les chiffres officiels, très sous-estimés selon les ONG, estiment que les heurts entre les communautés bouddhistes et les musulmans – en particulier l’ethnie très persécutée des Rohingyas en Arakan (Etat Rakhine) –, depuis 2012 ont fait plus de 200 morts et environ 140 000 déplacés.
En quelques mois, la pétition de l’OPRRB a été retravaillée par des avocats et des juristes pour aboutir à des projets législatifs qui, aujourd’hui, n’attendent que la validation du Parlement puis du président Thein Sein le 30 juin prochain pour avoir force de loi. La population birmane quant à elle, peut faire parvenir ses recommandations au comité spécial chargé de la présentation du projet.
Ce comité a été constitué fin mars par le gouvernement afin d’étudier deux de ces quatre propositions faites par les moines du mouvement 969 au nom de « la protection de la race et de la religion birmanes ». Selon les thèses défendues par le mouvement extrémiste qui a récemment gagné en popularité dans le pays, la nation birmane et bouddhiste, qui représente plus des deux tiers de la population du pays, serait menacée par une poussée démographique et religieuse des musulmans venus du Bangladesh voisin.
Le projet de loi sur la conversion religieuse, qui devrait être suivi de mesures sur le mariage interreligieux, la restriction des naissances (pour la population musulmane) (1) et l’obligation de la monogamie (bien que la polygamie soit déjà interdite en Birmanie), a pour but avoué de mettre fin à l’augmentation numérique des adeptes de l’islam dans le pays. Si le projet de loi est voté en l’état, des règles très précises et de nombreuses restrictions encadreront toute conversion d’un bouddhiste à une autre religion.
Le requérant, qui devra être âgé(e) d’au moins 18 ans, aura ainsi l’obligation d’obtenir l’autorisation de se convertir auprès des autorités locales. Il devra leur fournir des renseignements détaillés sur sa famille, la religion de ses proches ainsi que les raisons personnelles qui l’ont amené à vouloir se convertir. Ensuite, le Bureau d’enregistrement des conversions devra soumettre le requérant à plusieurs interrogatoires, lesquels pourront durer trois mois, afin de juger de sa sincérité et déterminer si sa conversion est volontaire (2).
Tout contrevenant à cette loi sera passible d’une condamnation pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Seront considérées comme des violations de la loi, la « conversion avec intention d’insulter ou de porter atteinte à une religion », la conversion forcée, ou celle « obtenue par des moyens de persuasion, quels qu’ils soient ».
Lors de l’annonce, en avril dernier, de la préparation d’une loi anti-conversion, différentes ONG mais aussi les communautés chrétiennes, généralement très discrètes, s’étaient élevées avec fermeté contre cette « violation flagrante des droits de l’homme ». Mgr Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, avait tenu à souligner combien « l’interférence de l’Etat dans la conscience de chacun, était une conception erronée et néfaste des choses ». La conversion est « un acte qui ressort de la liberté individuelle, avait-il déclaré. Nul ne peut contraindre quelqu’un à embrasser ou à quitter une religion (...), pas même ses parents, l’Etat ou des moines. »
Parmi les membres des organisations de défense des droits de l’homme qui avaient également protesté, Maung Maung Lay, de Human Rights Defenders and Protectors (HRDP) avait rappelé que « le fait de suivre une religion était un choix libre et personnel » et que « créer des lois pour faire surveiller, voire sanctionner, la foi et la conversion religieuse était donc inacceptable ».
Mais c’est sans aucun doute le second volet de la loi, celui concernant les mariages interreligieux, qui semble avoir suscité le plus de réactions en Birmanie, y compris parmi les bouddhistes.
Cette loi, comme l’expliquent eux-mêmes ses concepteurs, se donne pour but de limiter les unions entre musulmans et bouddhistes, ces derniers risquant par le mariage d’abandonner leur foi. Si le projet est validé par le Parlement, il sera exigé que toute femme bouddhiste obtienne, avant de se marier avec une personne appartenant à une autre religion, l’autorisation de ses parents, de sa (future) belle-famille et des autorités locales. Il sera également demandé au futur époux de se convertir au bouddhisme.
Cette mesure, explique Thin Thin Aung, de la Women’s League of Burma (WLB), affectera donc surtout les femmes et en particulier celles, nombreuses, qui travaillent à l’étranger et qui seront dans l’impossibilité de se faire enregistrer auprès des autorités locales, si elles veulent se convertir pour se marier.
L’effet dissuasif sera le même pour les hommes qui ne voudront pas encourir de difficultés en épousant des femmes d’origine birmane, fait remarquer le leader musulman Diamond Shew Kyi. « Aucune personne non bouddhiste ne voudra, ni ne pourra se marier avec une femme birmane travaillant à l’étranger, car elle ne pourra pas obtenir l’accord des autorités locales », affirme-t-il. .
C’est cette proposition de loi qui a fait sortir de son silence Aung San Suu Kyi, qui, depuis le début du conflit entre bouddhistes et musulmans, avait refusé « de prendre parti », une attitude qui lui avait été beaucoup reprochée. Pour la première fois depuis les troubles interreligieux, la dissidente s’est élevée contre « ces mesures discriminatoires et violations des droits de l’homme ainsi que et des droits des femmes ».
Il y a quelques semaines, 97 organisations de la société civile de Birmanie ont condamné également avec fermeté le projet de loi sur le mariage interreligieux, qui met en « péril les droits de la femme et l’harmonie interreligieuse et interethnique du pays ».
Quant Human Rights Watch (HRW), qui suit de près la situation en Birmanie, elle a dénoncé dès mars dernier des « lois discriminatoires » qui auront pour conséquence d’aggraver les violences communautaristes et les violations des droits de l’homme, des femmes et de la liberté religieuse. L’organisation a prié le président Thein Sein ainsi que le Parlement de rejeter les propositions de loi introduites par le mouvement 969, soulignant que les « avancées de la démocratie » récemment saluées par la communauté internationale risquaient d’être anéanties par la mise en place d’« une discrimination aussi flagrante ».
Face à ces critiques, les membres de l’OPRRB assurent avoir « veillé à ce que le projet de loi puisse inclure toutes les ethnies [de Birmanie] et répondre aux critères internationaux », comme l’a déclaré le 27 mai à Radio Free Asia, Tilawka Biwuntha, l’un des leaders de l’organisation extrémiste et membre du comité de rédaction du projet.
« Ce que le gouvernement nous demande de valider est tout au contraire en violation totale de toutes les règles internationales, s’indigne Al Haj Aye Lwin, responsable de l’Islamic Centre of Burma. La liberté religieuse est un droit de l’homme fondamental et je crois qu’avant d’aller plus loin, le gouvernement birman devrait peser le pour et le contre. »
(1) Des mesures dans ce sens sont déjà appliquées à l’encontre des Rohingyas, qui ne peuvent avoir plus de deux enfants, selon une loi mise en place à l’époque de la junte et réactivée en 2013 dans l’Arakan.
(2) Les membres du Bureau d’enregistrement, précise encore le texte du projet de loi, devront être choisis parmi les fonctionnaires du ministère de l’Immigration, des Affaires religieuses ou de la Condition féminine.
(Source: Eglises d'Asie, le 3 juin 2014)
Cette loi anti-conversion fait partie d'un ensemble de quatre projets législatifs élaborés par une coalition de bonzes radicaux regroupés sous la bannière de l’Organization for the Protection of Race, Religion, and Belief (OPRRB).
Présentés pour la première fois en juin dernier sous la forme d’une pétition qui avait réuni plus de 1,3 million de signatures, ces projets de loi font suite à une campagne de haine et de violence contre les musulmans orchestrée par les bonzes nationalistes du « mouvement 969 » dirigés par le moine Wirathu. Les chiffres officiels, très sous-estimés selon les ONG, estiment que les heurts entre les communautés bouddhistes et les musulmans – en particulier l’ethnie très persécutée des Rohingyas en Arakan (Etat Rakhine) –, depuis 2012 ont fait plus de 200 morts et environ 140 000 déplacés.
En quelques mois, la pétition de l’OPRRB a été retravaillée par des avocats et des juristes pour aboutir à des projets législatifs qui, aujourd’hui, n’attendent que la validation du Parlement puis du président Thein Sein le 30 juin prochain pour avoir force de loi. La population birmane quant à elle, peut faire parvenir ses recommandations au comité spécial chargé de la présentation du projet.
Ce comité a été constitué fin mars par le gouvernement afin d’étudier deux de ces quatre propositions faites par les moines du mouvement 969 au nom de « la protection de la race et de la religion birmanes ». Selon les thèses défendues par le mouvement extrémiste qui a récemment gagné en popularité dans le pays, la nation birmane et bouddhiste, qui représente plus des deux tiers de la population du pays, serait menacée par une poussée démographique et religieuse des musulmans venus du Bangladesh voisin.
Le projet de loi sur la conversion religieuse, qui devrait être suivi de mesures sur le mariage interreligieux, la restriction des naissances (pour la population musulmane) (1) et l’obligation de la monogamie (bien que la polygamie soit déjà interdite en Birmanie), a pour but avoué de mettre fin à l’augmentation numérique des adeptes de l’islam dans le pays. Si le projet de loi est voté en l’état, des règles très précises et de nombreuses restrictions encadreront toute conversion d’un bouddhiste à une autre religion.
Le requérant, qui devra être âgé(e) d’au moins 18 ans, aura ainsi l’obligation d’obtenir l’autorisation de se convertir auprès des autorités locales. Il devra leur fournir des renseignements détaillés sur sa famille, la religion de ses proches ainsi que les raisons personnelles qui l’ont amené à vouloir se convertir. Ensuite, le Bureau d’enregistrement des conversions devra soumettre le requérant à plusieurs interrogatoires, lesquels pourront durer trois mois, afin de juger de sa sincérité et déterminer si sa conversion est volontaire (2).
Tout contrevenant à cette loi sera passible d’une condamnation pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Seront considérées comme des violations de la loi, la « conversion avec intention d’insulter ou de porter atteinte à une religion », la conversion forcée, ou celle « obtenue par des moyens de persuasion, quels qu’ils soient ».
Lors de l’annonce, en avril dernier, de la préparation d’une loi anti-conversion, différentes ONG mais aussi les communautés chrétiennes, généralement très discrètes, s’étaient élevées avec fermeté contre cette « violation flagrante des droits de l’homme ». Mgr Charles Bo, archevêque catholique de Rangoun, avait tenu à souligner combien « l’interférence de l’Etat dans la conscience de chacun, était une conception erronée et néfaste des choses ». La conversion est « un acte qui ressort de la liberté individuelle, avait-il déclaré. Nul ne peut contraindre quelqu’un à embrasser ou à quitter une religion (...), pas même ses parents, l’Etat ou des moines. »
Parmi les membres des organisations de défense des droits de l’homme qui avaient également protesté, Maung Maung Lay, de Human Rights Defenders and Protectors (HRDP) avait rappelé que « le fait de suivre une religion était un choix libre et personnel » et que « créer des lois pour faire surveiller, voire sanctionner, la foi et la conversion religieuse était donc inacceptable ».
Mais c’est sans aucun doute le second volet de la loi, celui concernant les mariages interreligieux, qui semble avoir suscité le plus de réactions en Birmanie, y compris parmi les bouddhistes.
Cette loi, comme l’expliquent eux-mêmes ses concepteurs, se donne pour but de limiter les unions entre musulmans et bouddhistes, ces derniers risquant par le mariage d’abandonner leur foi. Si le projet est validé par le Parlement, il sera exigé que toute femme bouddhiste obtienne, avant de se marier avec une personne appartenant à une autre religion, l’autorisation de ses parents, de sa (future) belle-famille et des autorités locales. Il sera également demandé au futur époux de se convertir au bouddhisme.
Cette mesure, explique Thin Thin Aung, de la Women’s League of Burma (WLB), affectera donc surtout les femmes et en particulier celles, nombreuses, qui travaillent à l’étranger et qui seront dans l’impossibilité de se faire enregistrer auprès des autorités locales, si elles veulent se convertir pour se marier.
L’effet dissuasif sera le même pour les hommes qui ne voudront pas encourir de difficultés en épousant des femmes d’origine birmane, fait remarquer le leader musulman Diamond Shew Kyi. « Aucune personne non bouddhiste ne voudra, ni ne pourra se marier avec une femme birmane travaillant à l’étranger, car elle ne pourra pas obtenir l’accord des autorités locales », affirme-t-il. .
C’est cette proposition de loi qui a fait sortir de son silence Aung San Suu Kyi, qui, depuis le début du conflit entre bouddhistes et musulmans, avait refusé « de prendre parti », une attitude qui lui avait été beaucoup reprochée. Pour la première fois depuis les troubles interreligieux, la dissidente s’est élevée contre « ces mesures discriminatoires et violations des droits de l’homme ainsi que et des droits des femmes ».
Il y a quelques semaines, 97 organisations de la société civile de Birmanie ont condamné également avec fermeté le projet de loi sur le mariage interreligieux, qui met en « péril les droits de la femme et l’harmonie interreligieuse et interethnique du pays ».
Quant Human Rights Watch (HRW), qui suit de près la situation en Birmanie, elle a dénoncé dès mars dernier des « lois discriminatoires » qui auront pour conséquence d’aggraver les violences communautaristes et les violations des droits de l’homme, des femmes et de la liberté religieuse. L’organisation a prié le président Thein Sein ainsi que le Parlement de rejeter les propositions de loi introduites par le mouvement 969, soulignant que les « avancées de la démocratie » récemment saluées par la communauté internationale risquaient d’être anéanties par la mise en place d’« une discrimination aussi flagrante ».
Face à ces critiques, les membres de l’OPRRB assurent avoir « veillé à ce que le projet de loi puisse inclure toutes les ethnies [de Birmanie] et répondre aux critères internationaux », comme l’a déclaré le 27 mai à Radio Free Asia, Tilawka Biwuntha, l’un des leaders de l’organisation extrémiste et membre du comité de rédaction du projet.
« Ce que le gouvernement nous demande de valider est tout au contraire en violation totale de toutes les règles internationales, s’indigne Al Haj Aye Lwin, responsable de l’Islamic Centre of Burma. La liberté religieuse est un droit de l’homme fondamental et je crois qu’avant d’aller plus loin, le gouvernement birman devrait peser le pour et le contre. »
(1) Des mesures dans ce sens sont déjà appliquées à l’encontre des Rohingyas, qui ne peuvent avoir plus de deux enfants, selon une loi mise en place à l’époque de la junte et réactivée en 2013 dans l’Arakan.
(2) Les membres du Bureau d’enregistrement, précise encore le texte du projet de loi, devront être choisis parmi les fonctionnaires du ministère de l’Immigration, des Affaires religieuses ou de la Condition féminine.
(Source: Eglises d'Asie, le 3 juin 2014)