Mgr Nguyên Thai Hop hausse le ton. L’évêque du diocèse de Vinh a accordé une interview à l’agence d’information catholique VietCatholic News. Il revient en détail sur les conséquences de la pollution de l’environnement maritime du Centre-Vietnam causée en avril dernier par les rejets en mer d’une usine sidérurgique à capitaux taïwanais. Trois des quatre provinces touchées par la pollution se trouvent sur le territoire du diocèse de Vinh. Mgr Hop passe en revue les nombreux problèmes en relation avec cette catastrophe écologique dont les conséquences sont loin d’être achevées. Les jugements portés par l’évêque catholique sur les responsables directs et indirects ainsi que les victimes de ce drame sont d’une franchise parfois abrupte et n’épargnent aucune autorité.
La vidéo de l’entretien a été mise en ligne le 13 septembre 2016 sur le site de VietCatholic News. Mgr Hop est interviewé par le P. Trân Công Nghi, directeur de l’agence de presse fondée en 1996 et basée aux Etats-Unis. Le texte vietnamien a été traduit en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.
VietCatholic News : [Le directeur de l’agence de presse fait part à l’évêque de Vinh de l’émotion des Vietnamiens de la diaspora face à la pollution qui a ravagé les côtes du Centre-Vietnam. Les manifestations de protestation du 7 août dernier ont été suivies de près par les Vietnamiens à l’étranger. La presse officielle du Vietnam a présenté les faits avec une certaine partialité.] Bien qu’à des milliers de lieues de chez vous, nous pouvons imaginer la situation qui est celle des pêcheurs qui ne peuvent plus exercer leur profession… Pouvez-vous nous faire connaître les informations les plus récentes sur les difficultés subies aujourd’hui par la population du diocèse de Vinh ainsi que par l’ensemble des habitants du Centre-Vietnam ?
Mgr Nguyên Thai Hop : Tout d’abord, je voudrais profiter de cette occasion pour saluer et remercier les lecteurs proches ou lointains, les téléspectateurs et toutes les personnes de bonne volonté qui ont collaboré avec nous au cours des mois écoulés. J’espère que nous nous reverrons à l’avenir pour parler des préoccupations les plus élevées de notre pays.
Je ne suis pas un scientifique, pas plus qu’un spécialiste en économie ou un océanographe. Cependant, en tant qu’enfant du Centre-Vietnam, ayant vu le jour sur cette terre ingrate, et, surtout, et au titre d’évêque de Vinh depuis six ans, j’ai l’honneur de fouler en tous sens les entrailles de ce pays du centre, de cette terre inféconde. Aujourd’hui, j’ai l’occasion de parcourir encore davantage les chemins de cette pauvre terre et j’ai un sentiment de tristesse lorsque je regarde les mères du Centre-Vietnam : aujourd’hui, elles sont déjà pauvres et mènent une vie difficile, mais elles vont le devenir encore davantage et vivront encore plus difficilement…, à cause de la catastrophe de la pollution de l’environnement maritime.
La mer est la source de la vie ; telle était la tradition laissée par nos ancêtres. De la mer viennent les ressources qui permettent aux riverains de nourrir et d’élever leurs enfants, les ressources grâce auxquelles ils peuvent construire leur maison, subvenir aux dépenses nécessaires pour survivre. Certains peuvent même s’acheter des voitures, construire des bateaux, grâce aux ressources de la mer. Aujourd’hui, avec ce désastre environnemental, la population est dans le désarroi et le désespoir. Beaucoup ont déjà quitté leurs villages et sont partis. Les enfants ne vont plus à l’école et de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Non seulement les pêcheurs et les propriétaires de marais salants, mais aussi beaucoup d’autres services ainsi que la population qui vit tout autour sont affectés. Tous sont marqués par cette tragédie. Il n’y a désormais plus de poissons et cela fait déjà plus de quatre mois que nous n’avons pas consommé ce plat traditionnel de la population côtière.
Outre les difficultés supportées par la population des quatre provinces touchées par cette pollution, plus largement, comment voyez-vous les conséquences de cette pollution dans l’avenir ?
La population et moi-même éprouvons de grandes inquiétudes à ce sujet. Car jusqu’à présent, cinq mois après les événements, rien n’a été mis en œuvre pour dépolluer l’environnement maritime de notre région. Nous savons que les sédiments déposés au fond de la mer ne peuvent être traités que grâce à des technologies de haut niveau. Lors d’une récente réunion qui a eu lieu dans la province de Ha Tinh, une personne a posé la question précise aux hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement ainsi qu’aux spécialistes venus de Hanoi. Elle a demandé pourquoi ne pas avoir utilisé les technologies modernes pour assainir la mer. La réponse des spécialistes et des fonctionnaires a été : « Parce que c’est trop cher ! ».
Ils ont expliqué qu’il aurait été possible d’utiliser différentes techniques de dépollution, mais que la moins chère coûtait trois dollars le mètre carré et la plus chère plusieurs milliers de dollars le mètre carré. Est-ce pour cela que le Vietnam n’a entrepris aucun traitement, à ce jour, et n’a pas assaini l’environnement grâce à une technologie de haut niveau ? De plus, aujourd’hui, nous commençons à découvrir que des personnes sont atteintes par un certain nombre de maladies.
J’ai rencontré un prêtre du Quang Binh, chez qui, après un examen approfondi, il a été découvert une dose de plomb dans le sang, et une tension beaucoup plus élevée que la normale. Un certain nombre de personnes devant partir en Corée pour y travailler comme ouvrier conformément au programme d’assistance du gouvernement avec ce pays n’ont pas pu y aller car l’examen de santé a révélé un taux de plomb bien trop élevé. Cela ne fait que commencer ! Que se passera-t-il demain ? Faut-il penser que cette région maritime du Centre va connaître la situation qui, au Japon, a engendré ce qu’on a appelé la maladie de Minamata (maladie causée par l’absorption du mercure rejeté en mer par une usine pétrochimique) ? Et ces maladies s’attaqueront aussi bien aux générations actuelles qu’aux générations à venir. Tel est notre plus grand souci. D’autant plus que nous savons que le territoire pollué au Japon ne dépassait pas les 50 km. Chez nous, la pollution s’est étendue sur 250 km de côtes. C’est pourquoi les conséquences seront beaucoup plus graves.
Malgré toutes ces difficultés endurées, les autorités cherchent encore à abuser la population. Elles ont déclaré que la mer recouvrerait automatiquement sa pureté. Les fonctionnaires sont allés se baigner pour montrer que l’eau n’était plus polluée.… Quels sont vos remarques au sujet de cette façon de régler les problèmes utilisée par le pouvoir vietnamien ?
Lorsqu’un de mes amis a entendu et lu cette information, il a réagi ainsi : « Le Vietnam est un pays héroïque, les Vietnamiens sont des héros, non seulement eux, mais leur mer aussi. Pour être assainie, la mer doit être traitée par des technologies de haut niveau. La mer vietnamienne, elle, n’a eu besoin que de trois ou quatre mois pour retrouver sa pureté d’antan. Hourra pour la mer du Vietnam !!! »
Mais ceci n’est qu’une plaisanterie ! Plus nous réfléchissons, plus notre souffrance augmente ! Ce n’est pas sans raison que quelqu’un a critiqué les fonctionnaires, proclamant qu’ils étaient sans cœur. Cette tragédie aura des conséquences de longue durée sur la jeunesse. Comment est-il possible de traiter ce fléau de la pollution maritime au moyen de conférences, de communiqués, au lieu de s’associer aux scientifiques pour traiter le mal par des moyens industriels de haut niveau et véritablement assainir la mer ?
On se demande aussi à quoi cela sert d’organiser des conférences alors que la population veut obtenir une réponse à la question suivante : « Quand les poissons vont-ils revenir dans les quatre provinces du Centre-Vietnam ? Quand la population aura-t-elle le droit de consommer du poisson ? » Tant que l’on n’aura pas donné de réponse exhaustive à cette interrogation, les fonctionnaires pourront toujours organiser des repas de poissons et des bains de mer ! Souhaitons que cette question fondamentale posée par la population trouve chez les autorités une réponse juste à la hauteur de leur conscience, de leur connaissance et de leur responsabilité…
Il existe des informations contradictoires sur la somme d’argent versée en guise d’indemnisation par l’entreprise Formosa. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Cela préoccupe beaucoup de monde. La somme versée par Formosa est-elle de 500 millions de dollars ou de 1,2 milliard de dollars ou bien encore de 20 milliards de dollars ? Cette question, nous l’avons posée. Mais, dans notre pays, la situation est telle que les nouvelles sont limitées et souvent falsifiées. C’est pour cela que nous nous inquiétons et espérons que, grâce aux nouvelles venues d’une société de progrès, vous nous donnerez vous-même la réponse. Quand vous l’aurez, envoyez-moi un e-mail avec la nouvelle exacte.
Vous avez élevé la voix avec courage et vous continuez de le faire pour demander la justice et la paix pour vos frères et vos compatriotes du Centre-Vietnam. Vous suscitez ainsi toute notre admiration. Dans l’encyclique La joie de l’Evangile, nous avons été invités à ne pas rester indifférents face au cri des pauvres, à ne pas détourner notre regard des souffrances d’autrui. Cependant, nous savons qu’au Vietnam les médias déforment en permanence les paroles du pape Benoît XVI, à savoir : « Un bon catholique est un bon citoyen ». Avec une arrière-pensée, celle de placer la religion dans une dimension individuelle sans rapport avec la vie sociale et nationale, sans rapport avec la société civile. Nous souhaiterions entendre votre opinion à ce sujet.
Cette question est délicate. Mais puisque vous m’interrogez, je dois répondre. C’est juste ! Un certain nombre de catholiques au Vietnam débattent sur cette expression à deux volets : « Un bon catholique est aussi un bon citoyen. » Car selon les enseignements de la doctrine sociale de l’Eglise, un catholique doit accomplir deux missions : son appartenance au royaume des cieux et sa citoyenneté en ce monde ; il doit s’engager dans son propre pays.
Nous ne pouvons pas rester indifférents face aux problèmes, aux tristesses, aux dangers encourus par notre pays. Jésus a pleuré pour son peuple à cause des fléaux qui le frappaient. Cependant, il faut relire cette phrase que le Saint-Père nous a laissée, y réfléchir pour envisager la question d’une manière sereine.
En réalité, dans une société normale, une société libre, les deux volets de cette fameuse phrase peuvent rester parallèles. Mais dans des conditions anormales, dans une société où les droits de l’homme, spécialement la liberté religieuse et le droit à l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur religion, ne sont pas entièrement respectés, il n’est pas possible ou il est très difficile d’associer les deux propositions (bon catholique - bon citoyen). Ainsi au Vietnam, aujourd’hui, un catholique, en tant que croyant d’une religion, ne peut assumer de hautes responsabilités dans son pays. Même les personnes travaillant dans des secteurs spécialisés comme, par exemple, la médecine, ne peuvent, en tant que catholique, accéder à des hautes fonctions, comme la direction ou d’autres postes d’importance. Il faut adhérer au Parti pour assumer de tels postes. Seuls les membres du Parti ont une influence sur le destin du pays. Quant aux autres, qui n’appartiennent pas au Parti, ils ne peuvent pas jouer de rôles importants dans leur propre pays.
Aujourd’hui, une phrase est souvent utilisée pour expliquer le secret de la réussite : « En premier, la parenté, en second, l’argent, en troisième, les relations et, seulement en quatrième position, le talent. » Mais, si le talent est lié à une religion, il aura beaucoup de peine à s’exercer en ce pays. C’est pour cela, à cause d’une telle situation, qu’il est difficile de faire fonctionner ensemble les deux volets de la fameuse phrase : « Un bon catholique est aussi un bon citoyen. »
Ces dernières années, j’ai beaucoup réfléchi sur cette question. Pour y répondre, la Conférence épiscopale et beaucoup de membres de l’Eglise ont émis des propositions. On peut citer, par exemple, la proposition de la Conférence épiscopale à l’occasion de la révision et des amendements de la Constitution, proposant notamment d’abandonner le marxisme pour se tourner vers la tradition nationale, d’adopter les cultures de notre peuple comme un point de convergence susceptible de rassembler l’ensemble des membres du peuple vietnamien, sans distinction, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Ensuite, il y a eu la loi sur les croyances et la religion. De très nombreuses opinions ont été émises. On a demandé de reconnaître la liberté religieuse comme un droit fondamental de l’homme. Les croyants des diverses religions doivent faire une demande pour que l’Etat accorde une autorisation ; or, la liberté religieuse est un droit fondamental de l’homme. Il faut en créer les conditions pour que tous les citoyens vietnamiens, appartenant ou non à une religion, puissent également jouir du droit de vivre dans leur pays. C’est pourquoi, la contribution du diocèse de Vinh, celle des évêques de tous les diocèses, les diverses revendications des intellectuels, ont également demandé d’abandonner le système de demande et d’autorisation tel qu’il fonctionne aujourd’hui en matière religieuse.
En ce qui concerne les autres questions fondamentales comme les questions de structure, d’organisation et de législation, beaucoup de personnes ont élevé la voix pour demander l’établissement d’une société de droit, dans laquelle il y aurait séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, de telle façon que le peuple vietnamien marche d’un même pas avec tous les autres pays progressistes du monde.
A propos de l’économie de marché à orientation socialiste, nous demandons avec insistance aux détenteurs du pouvoir de réviser ce postulat. Car, jusqu’à présent, personne n’a encore donné la définition d’une économie de marché à orientation socialiste. Comment cela fonctionne-t-il ? Quel est le sens de cette expression ? Au contraire pour qu’une économie de marché se développe aujourd’hui d’une façon plus harmonieuse, beaucoup de personnes, dont moi-même, avons proposé de faire en sorte d’établir une société harmonieuse fonctionnant grâce à l’alliance de trois principes : un Etat de droit, la force invisible du marché et la solidarité de la société civile. L’association de ces trois principes permet à chaque partie de développer les points positifs et de diminuer les effets des points négatifs.
La question de la mer d’Orient [mer du Sud ou mer de Chine méridionale, en chinois - NdT] en est arrivée à un point où la population exige des autorités qu’elles adoptent une attitude plus claire à l’égard de nos voisins du Nord. Puisse la société que nous établirons se fonder sur le droit, un droit plus moderne que celui d’aujourd’hui ! Ainsi, tous les citoyens, tous les membres de notre nation, toutes les ethnies minoritaires pourront vivre dans l’égalité face à la loi. Alors, je pense que les bons catholiques feront aussi des bons citoyens…
Conformément à une coutume très ancienne, on a l’habitude de calomnier celui qui élève la voix pour lutter pour les pauvres et pour les droits de l’homme. Pourriez-vous nous parler de la situation de vos prêtres et fidèles, aujourd’hui, engagés dans la lutte pour la justice ? Rencontrent-t-il des difficultés auprès des autorités ? Recevez-vous quelque soutien moral et matériel ?
Poser la question c’est en même temps donner la réponse. Récemment, lors de la journée consacrée à l’environnement, nous avons manifesté avec notre conscience catholique, avec la conscience de notre responsabilité, la conscience d’être des citoyens soucieux de l’avenir du pays. Les revendications ont été celles des fidèles, à savoir que le complexe industriel Formosa indemnise les dégâts qu’il a causés, et qu’il quitte notre pays. Cette attitude, ces revendications leur ont été reprochées.
On les a calomniés en disant qu’une force venue de l’étranger, une force hostile, se tenait derrière eux et les manipulait. Moi aussi, je désir que l’on dise quelle est cette force hostile, quels sont les instruments, de ce parti de l’étranger. C’est à la Sécurité publique de nous le révéler ! Car, nous sommes des citoyens catholiques. Nous luttons pour la dignité humaine, les droits de l’homme et pour notre environnement, poussés par la conscience de notre responsabilité et animés par la doctrine sociale de l’Eglise. Actuellement, il est très regrettable des personnes qui luttent pour cet idéal rencontrent des difficultés. De tous côtés, ils se heurtent à la calomnie, à ceux qui sont stipendiés pour les calomnier.
Nous vous remercions, Monseigneur, de nous avoir consacré cette interview et espérons de tout cœur vous retrouver ainsi à l’avenir.
Je remercie sincèrement VietCatholic News de m’avoir donné l’occasion d’exprimer ma reconnaissance aux personnes de bonne volonté proches et lointaines. Merci aux bienfaiteurs qui nous ont généreusement aidés, qui ont collaboré auprès des victimes du fléau de la pollution de l’environnement maritime tous ces jours derniers. Merci pour leur participation spirituelle et pour leur partage matériel. Dans certains cas, conformément au proverbe vietnamien, ce sont véritablement des « feuilles saines qui ont enveloppé des feuilles déchirées… ». Il y a même eu des cas très émouvants où « des feuilles déchirées » sont venues réconforter « des feuilles moins déchirées qu’elles ». Nous vous remercions et nous vous faisons part de notre très sincère reconnaissance.
A côté de ces personnes qui ont ainsi essayé de nous aider de tout cœur, nous avons entendu parler de divers groupes ou de certains mouvements à l’étranger qui nous auraient envoyé des millions de dollars pour nous aider à manifester. Nous ne connaissons pas ces personnes et nous n’avons jamais reçu une piastre destinée à cela. Au contraire, nous avons reçu beaucoup d’assistance des diocèses du pays, des associations Caritas de Saigon, de Xuân Lôc, des diocèses du Nord aussi bien que de très nombreuses paroisses de des Etats-Unis. Beaucoup de personnes ont envoyé individuellement de l’argent ; ce sont souvent des dons minimes qu’ils ont voulu partager avec leurs frères dans le malheur.
Jusqu’à présent nous les avons transmis aux victimes, sous forme de riz, d’argent, de livres de classe, de bourses… Au total, la somme d’argent reçue atteint 1,5 milliard de dongs (60 000 euros). Nous espérons qu’elle sera entièrement entre les mains des victimes dans les jours à venir. Nous souhaitons que vous continuiez votre effort et que vous nous assistiez afin que notre population du Centre-Vietnam, déjà pauvre auparavant, et qui, avec la pollution, l’est devenue encore davantage, soit réconfortée par l’humanité de compatriotes vivants. (eda/jm)
(Source: Eglises d'Asie, le 21 septembre 2016)
La vidéo de l’entretien a été mise en ligne le 13 septembre 2016 sur le site de VietCatholic News. Mgr Hop est interviewé par le P. Trân Công Nghi, directeur de l’agence de presse fondée en 1996 et basée aux Etats-Unis. Le texte vietnamien a été traduit en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.
VietCatholic News : [Le directeur de l’agence de presse fait part à l’évêque de Vinh de l’émotion des Vietnamiens de la diaspora face à la pollution qui a ravagé les côtes du Centre-Vietnam. Les manifestations de protestation du 7 août dernier ont été suivies de près par les Vietnamiens à l’étranger. La presse officielle du Vietnam a présenté les faits avec une certaine partialité.] Bien qu’à des milliers de lieues de chez vous, nous pouvons imaginer la situation qui est celle des pêcheurs qui ne peuvent plus exercer leur profession… Pouvez-vous nous faire connaître les informations les plus récentes sur les difficultés subies aujourd’hui par la population du diocèse de Vinh ainsi que par l’ensemble des habitants du Centre-Vietnam ?
Mgr Nguyên Thai Hop : Tout d’abord, je voudrais profiter de cette occasion pour saluer et remercier les lecteurs proches ou lointains, les téléspectateurs et toutes les personnes de bonne volonté qui ont collaboré avec nous au cours des mois écoulés. J’espère que nous nous reverrons à l’avenir pour parler des préoccupations les plus élevées de notre pays.
Je ne suis pas un scientifique, pas plus qu’un spécialiste en économie ou un océanographe. Cependant, en tant qu’enfant du Centre-Vietnam, ayant vu le jour sur cette terre ingrate, et, surtout, et au titre d’évêque de Vinh depuis six ans, j’ai l’honneur de fouler en tous sens les entrailles de ce pays du centre, de cette terre inféconde. Aujourd’hui, j’ai l’occasion de parcourir encore davantage les chemins de cette pauvre terre et j’ai un sentiment de tristesse lorsque je regarde les mères du Centre-Vietnam : aujourd’hui, elles sont déjà pauvres et mènent une vie difficile, mais elles vont le devenir encore davantage et vivront encore plus difficilement…, à cause de la catastrophe de la pollution de l’environnement maritime.
La mer est la source de la vie ; telle était la tradition laissée par nos ancêtres. De la mer viennent les ressources qui permettent aux riverains de nourrir et d’élever leurs enfants, les ressources grâce auxquelles ils peuvent construire leur maison, subvenir aux dépenses nécessaires pour survivre. Certains peuvent même s’acheter des voitures, construire des bateaux, grâce aux ressources de la mer. Aujourd’hui, avec ce désastre environnemental, la population est dans le désarroi et le désespoir. Beaucoup ont déjà quitté leurs villages et sont partis. Les enfants ne vont plus à l’école et de nombreuses personnes ont perdu leur emploi. Non seulement les pêcheurs et les propriétaires de marais salants, mais aussi beaucoup d’autres services ainsi que la population qui vit tout autour sont affectés. Tous sont marqués par cette tragédie. Il n’y a désormais plus de poissons et cela fait déjà plus de quatre mois que nous n’avons pas consommé ce plat traditionnel de la population côtière.
Outre les difficultés supportées par la population des quatre provinces touchées par cette pollution, plus largement, comment voyez-vous les conséquences de cette pollution dans l’avenir ?
La population et moi-même éprouvons de grandes inquiétudes à ce sujet. Car jusqu’à présent, cinq mois après les événements, rien n’a été mis en œuvre pour dépolluer l’environnement maritime de notre région. Nous savons que les sédiments déposés au fond de la mer ne peuvent être traités que grâce à des technologies de haut niveau. Lors d’une récente réunion qui a eu lieu dans la province de Ha Tinh, une personne a posé la question précise aux hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement ainsi qu’aux spécialistes venus de Hanoi. Elle a demandé pourquoi ne pas avoir utilisé les technologies modernes pour assainir la mer. La réponse des spécialistes et des fonctionnaires a été : « Parce que c’est trop cher ! ».
Ils ont expliqué qu’il aurait été possible d’utiliser différentes techniques de dépollution, mais que la moins chère coûtait trois dollars le mètre carré et la plus chère plusieurs milliers de dollars le mètre carré. Est-ce pour cela que le Vietnam n’a entrepris aucun traitement, à ce jour, et n’a pas assaini l’environnement grâce à une technologie de haut niveau ? De plus, aujourd’hui, nous commençons à découvrir que des personnes sont atteintes par un certain nombre de maladies.
J’ai rencontré un prêtre du Quang Binh, chez qui, après un examen approfondi, il a été découvert une dose de plomb dans le sang, et une tension beaucoup plus élevée que la normale. Un certain nombre de personnes devant partir en Corée pour y travailler comme ouvrier conformément au programme d’assistance du gouvernement avec ce pays n’ont pas pu y aller car l’examen de santé a révélé un taux de plomb bien trop élevé. Cela ne fait que commencer ! Que se passera-t-il demain ? Faut-il penser que cette région maritime du Centre va connaître la situation qui, au Japon, a engendré ce qu’on a appelé la maladie de Minamata (maladie causée par l’absorption du mercure rejeté en mer par une usine pétrochimique) ? Et ces maladies s’attaqueront aussi bien aux générations actuelles qu’aux générations à venir. Tel est notre plus grand souci. D’autant plus que nous savons que le territoire pollué au Japon ne dépassait pas les 50 km. Chez nous, la pollution s’est étendue sur 250 km de côtes. C’est pourquoi les conséquences seront beaucoup plus graves.
Malgré toutes ces difficultés endurées, les autorités cherchent encore à abuser la population. Elles ont déclaré que la mer recouvrerait automatiquement sa pureté. Les fonctionnaires sont allés se baigner pour montrer que l’eau n’était plus polluée.… Quels sont vos remarques au sujet de cette façon de régler les problèmes utilisée par le pouvoir vietnamien ?
Lorsqu’un de mes amis a entendu et lu cette information, il a réagi ainsi : « Le Vietnam est un pays héroïque, les Vietnamiens sont des héros, non seulement eux, mais leur mer aussi. Pour être assainie, la mer doit être traitée par des technologies de haut niveau. La mer vietnamienne, elle, n’a eu besoin que de trois ou quatre mois pour retrouver sa pureté d’antan. Hourra pour la mer du Vietnam !!! »
Mais ceci n’est qu’une plaisanterie ! Plus nous réfléchissons, plus notre souffrance augmente ! Ce n’est pas sans raison que quelqu’un a critiqué les fonctionnaires, proclamant qu’ils étaient sans cœur. Cette tragédie aura des conséquences de longue durée sur la jeunesse. Comment est-il possible de traiter ce fléau de la pollution maritime au moyen de conférences, de communiqués, au lieu de s’associer aux scientifiques pour traiter le mal par des moyens industriels de haut niveau et véritablement assainir la mer ?
On se demande aussi à quoi cela sert d’organiser des conférences alors que la population veut obtenir une réponse à la question suivante : « Quand les poissons vont-ils revenir dans les quatre provinces du Centre-Vietnam ? Quand la population aura-t-elle le droit de consommer du poisson ? » Tant que l’on n’aura pas donné de réponse exhaustive à cette interrogation, les fonctionnaires pourront toujours organiser des repas de poissons et des bains de mer ! Souhaitons que cette question fondamentale posée par la population trouve chez les autorités une réponse juste à la hauteur de leur conscience, de leur connaissance et de leur responsabilité…
Il existe des informations contradictoires sur la somme d’argent versée en guise d’indemnisation par l’entreprise Formosa. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?
Cela préoccupe beaucoup de monde. La somme versée par Formosa est-elle de 500 millions de dollars ou de 1,2 milliard de dollars ou bien encore de 20 milliards de dollars ? Cette question, nous l’avons posée. Mais, dans notre pays, la situation est telle que les nouvelles sont limitées et souvent falsifiées. C’est pour cela que nous nous inquiétons et espérons que, grâce aux nouvelles venues d’une société de progrès, vous nous donnerez vous-même la réponse. Quand vous l’aurez, envoyez-moi un e-mail avec la nouvelle exacte.
Vous avez élevé la voix avec courage et vous continuez de le faire pour demander la justice et la paix pour vos frères et vos compatriotes du Centre-Vietnam. Vous suscitez ainsi toute notre admiration. Dans l’encyclique La joie de l’Evangile, nous avons été invités à ne pas rester indifférents face au cri des pauvres, à ne pas détourner notre regard des souffrances d’autrui. Cependant, nous savons qu’au Vietnam les médias déforment en permanence les paroles du pape Benoît XVI, à savoir : « Un bon catholique est un bon citoyen ». Avec une arrière-pensée, celle de placer la religion dans une dimension individuelle sans rapport avec la vie sociale et nationale, sans rapport avec la société civile. Nous souhaiterions entendre votre opinion à ce sujet.
Cette question est délicate. Mais puisque vous m’interrogez, je dois répondre. C’est juste ! Un certain nombre de catholiques au Vietnam débattent sur cette expression à deux volets : « Un bon catholique est aussi un bon citoyen. » Car selon les enseignements de la doctrine sociale de l’Eglise, un catholique doit accomplir deux missions : son appartenance au royaume des cieux et sa citoyenneté en ce monde ; il doit s’engager dans son propre pays.
Nous ne pouvons pas rester indifférents face aux problèmes, aux tristesses, aux dangers encourus par notre pays. Jésus a pleuré pour son peuple à cause des fléaux qui le frappaient. Cependant, il faut relire cette phrase que le Saint-Père nous a laissée, y réfléchir pour envisager la question d’une manière sereine.
En réalité, dans une société normale, une société libre, les deux volets de cette fameuse phrase peuvent rester parallèles. Mais dans des conditions anormales, dans une société où les droits de l’homme, spécialement la liberté religieuse et le droit à l’égalité de tous les citoyens quelle que soit leur religion, ne sont pas entièrement respectés, il n’est pas possible ou il est très difficile d’associer les deux propositions (bon catholique - bon citoyen). Ainsi au Vietnam, aujourd’hui, un catholique, en tant que croyant d’une religion, ne peut assumer de hautes responsabilités dans son pays. Même les personnes travaillant dans des secteurs spécialisés comme, par exemple, la médecine, ne peuvent, en tant que catholique, accéder à des hautes fonctions, comme la direction ou d’autres postes d’importance. Il faut adhérer au Parti pour assumer de tels postes. Seuls les membres du Parti ont une influence sur le destin du pays. Quant aux autres, qui n’appartiennent pas au Parti, ils ne peuvent pas jouer de rôles importants dans leur propre pays.
Aujourd’hui, une phrase est souvent utilisée pour expliquer le secret de la réussite : « En premier, la parenté, en second, l’argent, en troisième, les relations et, seulement en quatrième position, le talent. » Mais, si le talent est lié à une religion, il aura beaucoup de peine à s’exercer en ce pays. C’est pour cela, à cause d’une telle situation, qu’il est difficile de faire fonctionner ensemble les deux volets de la fameuse phrase : « Un bon catholique est aussi un bon citoyen. »
Ces dernières années, j’ai beaucoup réfléchi sur cette question. Pour y répondre, la Conférence épiscopale et beaucoup de membres de l’Eglise ont émis des propositions. On peut citer, par exemple, la proposition de la Conférence épiscopale à l’occasion de la révision et des amendements de la Constitution, proposant notamment d’abandonner le marxisme pour se tourner vers la tradition nationale, d’adopter les cultures de notre peuple comme un point de convergence susceptible de rassembler l’ensemble des membres du peuple vietnamien, sans distinction, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Ensuite, il y a eu la loi sur les croyances et la religion. De très nombreuses opinions ont été émises. On a demandé de reconnaître la liberté religieuse comme un droit fondamental de l’homme. Les croyants des diverses religions doivent faire une demande pour que l’Etat accorde une autorisation ; or, la liberté religieuse est un droit fondamental de l’homme. Il faut en créer les conditions pour que tous les citoyens vietnamiens, appartenant ou non à une religion, puissent également jouir du droit de vivre dans leur pays. C’est pourquoi, la contribution du diocèse de Vinh, celle des évêques de tous les diocèses, les diverses revendications des intellectuels, ont également demandé d’abandonner le système de demande et d’autorisation tel qu’il fonctionne aujourd’hui en matière religieuse.
En ce qui concerne les autres questions fondamentales comme les questions de structure, d’organisation et de législation, beaucoup de personnes ont élevé la voix pour demander l’établissement d’une société de droit, dans laquelle il y aurait séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, de telle façon que le peuple vietnamien marche d’un même pas avec tous les autres pays progressistes du monde.
A propos de l’économie de marché à orientation socialiste, nous demandons avec insistance aux détenteurs du pouvoir de réviser ce postulat. Car, jusqu’à présent, personne n’a encore donné la définition d’une économie de marché à orientation socialiste. Comment cela fonctionne-t-il ? Quel est le sens de cette expression ? Au contraire pour qu’une économie de marché se développe aujourd’hui d’une façon plus harmonieuse, beaucoup de personnes, dont moi-même, avons proposé de faire en sorte d’établir une société harmonieuse fonctionnant grâce à l’alliance de trois principes : un Etat de droit, la force invisible du marché et la solidarité de la société civile. L’association de ces trois principes permet à chaque partie de développer les points positifs et de diminuer les effets des points négatifs.
La question de la mer d’Orient [mer du Sud ou mer de Chine méridionale, en chinois - NdT] en est arrivée à un point où la population exige des autorités qu’elles adoptent une attitude plus claire à l’égard de nos voisins du Nord. Puisse la société que nous établirons se fonder sur le droit, un droit plus moderne que celui d’aujourd’hui ! Ainsi, tous les citoyens, tous les membres de notre nation, toutes les ethnies minoritaires pourront vivre dans l’égalité face à la loi. Alors, je pense que les bons catholiques feront aussi des bons citoyens…
Conformément à une coutume très ancienne, on a l’habitude de calomnier celui qui élève la voix pour lutter pour les pauvres et pour les droits de l’homme. Pourriez-vous nous parler de la situation de vos prêtres et fidèles, aujourd’hui, engagés dans la lutte pour la justice ? Rencontrent-t-il des difficultés auprès des autorités ? Recevez-vous quelque soutien moral et matériel ?
Poser la question c’est en même temps donner la réponse. Récemment, lors de la journée consacrée à l’environnement, nous avons manifesté avec notre conscience catholique, avec la conscience de notre responsabilité, la conscience d’être des citoyens soucieux de l’avenir du pays. Les revendications ont été celles des fidèles, à savoir que le complexe industriel Formosa indemnise les dégâts qu’il a causés, et qu’il quitte notre pays. Cette attitude, ces revendications leur ont été reprochées.
On les a calomniés en disant qu’une force venue de l’étranger, une force hostile, se tenait derrière eux et les manipulait. Moi aussi, je désir que l’on dise quelle est cette force hostile, quels sont les instruments, de ce parti de l’étranger. C’est à la Sécurité publique de nous le révéler ! Car, nous sommes des citoyens catholiques. Nous luttons pour la dignité humaine, les droits de l’homme et pour notre environnement, poussés par la conscience de notre responsabilité et animés par la doctrine sociale de l’Eglise. Actuellement, il est très regrettable des personnes qui luttent pour cet idéal rencontrent des difficultés. De tous côtés, ils se heurtent à la calomnie, à ceux qui sont stipendiés pour les calomnier.
Nous vous remercions, Monseigneur, de nous avoir consacré cette interview et espérons de tout cœur vous retrouver ainsi à l’avenir.
Je remercie sincèrement VietCatholic News de m’avoir donné l’occasion d’exprimer ma reconnaissance aux personnes de bonne volonté proches et lointaines. Merci aux bienfaiteurs qui nous ont généreusement aidés, qui ont collaboré auprès des victimes du fléau de la pollution de l’environnement maritime tous ces jours derniers. Merci pour leur participation spirituelle et pour leur partage matériel. Dans certains cas, conformément au proverbe vietnamien, ce sont véritablement des « feuilles saines qui ont enveloppé des feuilles déchirées… ». Il y a même eu des cas très émouvants où « des feuilles déchirées » sont venues réconforter « des feuilles moins déchirées qu’elles ». Nous vous remercions et nous vous faisons part de notre très sincère reconnaissance.
A côté de ces personnes qui ont ainsi essayé de nous aider de tout cœur, nous avons entendu parler de divers groupes ou de certains mouvements à l’étranger qui nous auraient envoyé des millions de dollars pour nous aider à manifester. Nous ne connaissons pas ces personnes et nous n’avons jamais reçu une piastre destinée à cela. Au contraire, nous avons reçu beaucoup d’assistance des diocèses du pays, des associations Caritas de Saigon, de Xuân Lôc, des diocèses du Nord aussi bien que de très nombreuses paroisses de des Etats-Unis. Beaucoup de personnes ont envoyé individuellement de l’argent ; ce sont souvent des dons minimes qu’ils ont voulu partager avec leurs frères dans le malheur.
Jusqu’à présent nous les avons transmis aux victimes, sous forme de riz, d’argent, de livres de classe, de bourses… Au total, la somme d’argent reçue atteint 1,5 milliard de dongs (60 000 euros). Nous espérons qu’elle sera entièrement entre les mains des victimes dans les jours à venir. Nous souhaitons que vous continuiez votre effort et que vous nous assistiez afin que notre population du Centre-Vietnam, déjà pauvre auparavant, et qui, avec la pollution, l’est devenue encore davantage, soit réconfortée par l’humanité de compatriotes vivants. (eda/jm)
(Source: Eglises d'Asie, le 21 septembre 2016)